Chapitre 09

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— Qu'est-ce qui se passe ? demande Élodie, une pointe d'inquiétude dans la voix.

— Désolée de t'avoir fait peur. Rien de grave, c'est à nouveau une lettre de rappel pour loyer impayé.

— Encore ? Tes parents n'ont pas payé ? C'est la troisième fois, non ?

— La quatrième. Bon, Élodie, je suis désolée, je dois te laisser. Je vais appeler ma mère. De toute manière, je passe chez toi demain.

— J'ai hâte, bisous !

Je raccroche, le regard toujours fixé sur la lettre. C'est encore un problème de plus et je n'avais pas besoin de ça maintenant. Bien que je ne sois pas issue d'une famille riche, mes parents ont normalement les moyens pour payer mon loyer. S'ils ne le font pas, ce n'est pas à cause de soucis financiers, mais parce qu'ils ont oublié. Ils sont déboussolés tous les deux. J'appelle ma mère une première fois mais elle ne décroche pas. C'est seulement à la deuxième tentative qu'elle répond, d'une voix tremblotante :

— Allô ? Qui est à l'appareil ?

— Maman, c'est Emma. Mon nom est inscrit sur ton téléphone quand je t'appelle.

— Qui ça ? demande-t-elle après une hésitation.

— Emma ! Ta fille.

— Ah, oui, pardon. Je n'avais pas bien entendu. Comment vas-tu, ma chérie ?

— Ça va et toi ? Tu continues bien à aller chez la psy ?

— Évidemment. J'ai juste oublié le rendez-vous de cette semaine, répond-elle avec un petit rire nerveux.

Cela ne me surprend pas. Ces derniers temps, elle manque souvent ses rencontres avec la psychologue. Elle n'est pas consciente que si elle n'est pas suivie régulièrement, sa santé va se détériorer de plus en plus. Je pensais que mon père lui tenait la bride assez fermement sur ce point, mais visiblement, ce n'est pas le cas. D'un autre côté, comment lui en vouloir ? Il doit tout gérer seul et c'est loin d'être aisé pour lui car la situation se complique chaque jour.

— Maman, c'est pas bien ! Si t'as des séances, c'est pas pour rien. Essaie d'y aller, c'est important.

— Ma chérie, je t'assure que c'est pas grave, je vais très bien. Alors ne t'inquiète pas et va plutôt voir Aron, il sera content. Tu ne nous rends jamais visite et encore moins à ton frère.

Je n'aime pas tenir le rôle de la mère et la gronder comme si elle était une enfant. J'abrège donc la conversation. D'autant plus qu'une boule se forme au creux de mon ventre à l'évocation du prénom de mon frère. Ma mère se trompe, Aron me manque terriblement. Mais je préfère ne pas le lui dire, ça ne servirait à rien, elle ne comprendrait pas pourquoi.

J'ai beau aimer ma mère du plus profond de mon être, depuis qu'elle est malade, elle est la dernière personne à qui je peux me confier. Comment pourrait-elle m'aider dans mes soucis, alors qu'elle est incapable de gérer les siens ?

— Je t'appelle pour le loyer, t'as oublié de le payer et j'ai de nouveau reçu un rappel.

Un silence s'installe et seul le bruit des travaux en bas de ma rue se fait entendre. Je sentirais presque son cerveau surchauffer, à force d'activer ses méninges pour réfléchir. Ma mère est devenue comme ça : une personne qui n'arrive plus à tenir une conversation normale et dont la mémoire est le plus souvent défaillante.

— Le loyer ? Quel loyer ? Tu sais bien que nous sommes propriétaires ! s'exclame-t-elle enfin.

Consciente que la discussion tourne en rond, je tente de garder mon calme et me ronge les ongles. M'énerver ne ferait qu'aggraver son désarroi.

Promis, cette fois je t'envoie en prison !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant