Chapitre 31

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— Emma ! Je t'interdis de parler de ton frère sur ce ton ! s'insurge ma mère, en cognant du poing sur la table.

C'en est trop pour moi. La démence de ma mère. L'absence de réactivité de mon père qui a capitulé.

J'étouffe. Je suffoque.

Je sens que je perds le contrôle de moi-même. Tout tourne et j'ai beau tendre ma main le plus haut possible, personne ne me vient en aide. Non, personne. Je ne sais plus contre qui diriger ma colère. Envers Flynn ? Mais est-il réellement à l'origine du meurtre ? Envers Aron, qui a succombé à ses blessures ? Ou bien, envers mes parents, eux-mêmes à bout et incapables de me soutenir psychologiquement ?

Je me lève si brusquement que ma chaise tombe à la renverse. J'entends à peine les cris de ma famille qui sont étouffés par le brouhaha dans mes tympans. Tout tangue et je m'efforce à gravir les marches en pierre à vive allure. Le souffle court, j'entre et m'enferme dans la chambre de mon frère, écoeurée de nausées. Je m'assieds sur le lit, où j'avais l'habitude de m'installer aux temps heureux, pour lui raconter mes histoires. Mais, cette fois, je suis seule. Il n'y a personne à qui confier mon mal-être.

Je baisse mes paupières, tentant de maîtriser mes tremblements. 

J'ai froid. Je suis à bout. Je me sens partir.

Quelques instants après, en rouvrant les yeux, je remarque les deux lettres, A + E, écrites en grand sur le mur et entourées d'un cœur. J'avais seulement douze ans à l'époque et après avoir regardé un film romantique, j'avais eu l'idée de faire ce dessin. Mais, en voyant que j'avais tracé ça au marqueur indélébile et qu'il était impossible de l'effacer, Aron s'était énervé contre moi. Le soir, j'avais été privée de télévision par mes parents et je m'étais vengée, en lui rendant la vie impossible les jours suivants.

À l'évocation de ces souvenirs, je ris nerveusement jusqu'à ne plus avoir de souffle et m'allonge sur le lit, épuisée. Je savais que rendre visite à mes parents serait difficile, mais pas question de les abandonner. Je n'ai pas su rester forte face au comportement de ma mère et je ne suis pas fière d'avoir fui.

En face du lit, se trouve l'ordinateur dernière technologie de mon frère qui est comme neuf, malgré les années. Aron vouait une véritable passion à l'informatique. C'était un as en matière de lignes de codes. Il s'amusait à créer des sites internet et pouvait passer des heures à y travailler, sans se lasser.

Je me sens un peu mieux et redescends, afin de m'excuser. Mon père m'informe que ma mère s'est endormie et je vais la voir dans sa chambre. Son souffle est régulier, elle paraît détendue et paisible. Je lui caresse délicatement la joue, en lui disant des mots affectueux. Elle serait sans doute délivrée de ses souffrances, si elle ne se réveillait plus. Je culpabilise immédiatement d'avoir ce genre de pensées. Il faut que je garde l'espoir qu'avec le temps, peu à peu, son état s'améliorera.

Je referme doucement la porte pour ne pas la réveiller et rejoins mon père, assis sur le canapé.

— Je suis désolée... J'ai été dure avec maman. Je n'aurais pas dû la brusquer.

— Je sais que c'est difficile pour toi. Tu étais très proche d'Aron. Tu fais de ton mieux, me réconforte-t-il, en posant ses mains tendrement sur mes épaules.

Mon père n'a jamais été très doué pour témoigner de son affection. Je suis surprise et émue par son attitude.

— Je pense qu'il est l'heure pour moi d'y aller. J'essaie de revenir vite.

— Merci à toi pour ta visite, fais attention sur la route.

Mon père ne me raccompagne pas, lui aussi est épuisé.

Promis, cette fois je t'envoie en prison !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant