Chapitre 19

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— Hein ? m'étouffé-je, à l'écoute de cette révélation. Comment ça, elle se prostitue ?

— Baisse d'un ton ! me fait signe Jev, le doigt sur sa bouche.

— Désolée, ça m'a échappé, tu veux dire quoi exactement par « elle se prostitue » ? répété-je, en parlant moins fort.

Il inspire un grand coup, en faisant craquer sa nuque, comme pour éliminer les tensions. Il ouvre la bouche, s'apprêtant à reprendre son récit, mais s'arrête net. Je regarde dans sa direction et remarque deux élèves passer à côté de nous. Quelques retardataires sortent des classes pour aller déjeuner et Jev est mal à l'aise à l'idée que quelqu'un puisse entendre notre conversation.

— Tu veux qu'on aille dans un endroit plus calme ? proposé-je.

— Oui, viens dans la cour.

Je me lève pour le suivre. Aucun de nous deux ne dit un mot, seul le brouhaha des étudiants aux alentours rompt le silence. Jev pousse la porte métallique et la tient, m'invitant à passer en premier. Lorsque je sors, une brise légère caresse mon visage, me faisant légèrement frissonner. Des tables de pique-nique en bois sont posées sur le carrelage en marbre de la terrasse. Plus loin, de nombreux étudiants sont assis à même le sol, recouvert d'un gazon verdoyant, ombragé par des chênes. Le calme règne et seul résonne le chant des oiseaux. Je récupère mon paquet de cigarettes et l'ouvre pour en attraper une. Je la glisse sur mes lèvres et sors mon briquet, quand j'ai un moment d'hésitation.

— Ça te dérange si je fume ? le questionné-je.

— Aucun souci.

— T'en veux une ? proposé-je, en lui tendant mon paquet.

— Non merci, je ne fume pas. J'ai peur d'avoir des soucis de santé, sinon.

Je repense au décès de sa mère, malade et je range ma cigarette sans l'avoir allumée.

— T'as raison.

— On est quand même mieux là pour parler, constate-t-il.

— C'est clair. Bon, pour résumer l'histoire. T'es sorti tard le soir et t'as aperçu Molly, c'est ça ?

— C'est ça. J'ai voulu la rejoindre, mais une berline noire s'est arrêtée à sa hauteur. Un homme d'une cinquantaine d'années est sorti pour lui parler et elle est montée avec lui.

— C'est tout ? Tu peux pas en conclure qu'elle se prostitue uniquement pour ça, peut-être que c'était quelqu'un de sa famille.

— J'y ai pensé, du coup je suis retourné quelques fois la nuit et elle était toujours dans le même secteur, vêtue de manière sexy et dénudée. À chaque fois, c'était un homme différent qui l'abordait.

Choquée, j'écarquille mes yeux en mettant ma main sur la bouche. Bien que je n'apprécie pas cette fille, personne ne devrait être contraint à vendre son corps.

— Oh, c'est chaud ! Tu sais pourquoi elle fait ça ?

— Je sais pas. Peut-être qu'elle a besoin d'argent facile, ou alors c'est sa façon de se rebeller. Je crois qu'on ne le saura jamais.

— Je comprends pourquoi elle ne veut pas que les gens le sachent. Et toi, tu l'as menacée par rapport à ça ?

— J'en suis pas fier, mais c'est pour toi que je l'ai fait.

À sa déclaration, je sens mes oreilles s'embraser et mes joues s'empourprer. Mal à l'aise, je le questionne :

— Tu lui as fait du chantage dans quel contexte ?

— Après votre première altercation. Je l'ai croisée hyper énervée. Elle voulait te dénoncer à la direction pour que tu sois exclue. Donc, je l'ai prévenue que si elle faisait ça, je balancerais la vérité à tout le monde.

— Attends, mais on se connaissait à peine à ce moment ! l'interpelé-je, surprise.

— C'est vrai, mais j'ai tout de suite senti qu'on allait bien s'entendre.

Il m'adresse un sourire charmeur et mon cœur bondit dans ma poitrine. Je ne peux plus le nier, Jev me chamboule et c'est une personne qui pourrait me convenir. Mais tant que mon désir de vengeance sera présent, je ne serai pas prête à me rapprocher davantage. J'agis mal avec Jev, en le faisant espérer et je me sens coupable. D'un autre côté, à aucun moment je n'ai laissé entrevoir une ouverture, lui laissant penser que mon cœur était à prendre. Je suis complètement perdue et je n'ai pas l'habitude que mes sentiments viennent entraver mes objectifs.

— À propos de Molly. Est-ce qu'elle sort avec Flynn ?

— Non

— Alors, pourquoi il ne la repousse pas ?

— Sans doute pour que les filles lui foutent la paix. Il a pas mal de succès. Avec Molly à ses côtés, plus aucune ne vient l'importuner. Enfin, sauf toi !

— Ah... Non ... C'est pas ça, balbutié-je, gênée.

— Je plaisante. Si t'étais pas venue lui parler, je ne t'aurais jamais rencontrée.

— C'est vrai ! Je me suis trop tapée la honte, je ne m'attendais pas à un accueil pareil !

— Quand j'y repense, c'était très drôle, s'esclaffe-t-il.

Je tapote son coude en riant. J'aime ces moments de complicité avec lui et je le trouve vraiment attirant. Ses yeux sombres me fascinent et j'ai envie de glisser ma main dans ses cheveux qui semblent doux et soyeux. Je réfrène mon envie car ce serait déplacé de ma part.

— J'ai l'impression que Flynn me déteste depuis cette histoire.

— Je suis sûr que c'est pas le cas. Il a juste une prestance à garder auprès des autres et c'est pour ça qu'il était sur la défensive. Viens manger avec moi à midi, si tu veux, comme ça tu pourras lui parler.

Sa proposition est alléchante et c'est une occasion en or. Mais j'ai promis à Élodie de la rejoindre pour tout lui raconter. Encore une fois, je me retrouve à devoir faire un choix. Dois-je faire passer mes objectifs personnels avant ma meilleure amie ? Je prends le temps de réfléchir quelques secondes, mais dans mon cœur, le choix est vite fait.

— C'est gentil de me le proposer, mais Élodie est la priorité pour moi. Elle m'attend et je vais vite la rejoindre.

— Je comprends, on aura d'autres occasions !

C'est un garçon si compréhensif et je le remercie, en lui adressant un sourire sincère. En regardant l'heure sur mon téléphone, je vois que ma discussion a pris plus de temps que prévu.

— Il faut vraiment que je me dépêche ! Je veux la retrouver avant qu'elle ne sorte de la cafet !

— Moi aussi, je vais manger avec mes amis. Viens, on y va ensemble.

On se glisse à l'intérieur, en longeant le couloir pour éviter le flux d'étudiants qui augmente à l'approche du self.

— Nos chemins se séparent ici, à toute ! me lance Jev.

— Ça marche, bon app !

Il s'éloigne et je vais récupérer un plateau. Salade de crudités et tomates mozzarella sont proposées en entrée, mais je prends directement le steak haché servi avec des haricots verts. Au milieu, je cherche mon amie. La salle grouille de monde et les tables et chaises sont alignées dans une symétrie parfaite, donnant une impression de rigidité. La décoration est singulière avec des lumières artificielles au plafond et des murs orange. À la différence des couloirs, ici, les fenêtres sont très peu présentes, rendant ce lieu cauchemardesque pour les claustrophobes. C'est l'endroit que je déteste le plus : il n'est pas chaleureux et une modernisation ne serait pas superflue, notamment au niveau de la peinture écaillée des chaises noires.

Mon regard repère la tête blonde de mon amie, assise face à David. J'hésite à les déranger et j'envisage de rejoindre directement Jev, mais je crains qu'elle interprète mal mon geste. Je ne veux pas prendre ce risque et dans le pire des cas, elle me signifiera que je ne suis pas la bienvenue.

David me remarque le premier et me sourit. Élodie m'ignore totalement quand je m'assieds à ses côtés. Il est grand temps de tout faire pour arranger les choses avec elle, notre amitié m'est trop précieuse.

Promis, cette fois je t'envoie en prison !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant