Chapitre 45

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— Ne me demande pas pourquoi je veux te parler de ça, continue-t-elle, j'en sais rien. Peut-être que l'idée de bientôt en finir me rassure. Mais avant ça, je dois me débarrasser de ce poids si lourd et tu te trouves juste au bon endroit, au bon moment.

Le discours de Molly semble très hautain, pourtant, ses bras ne cessent de trembler et sa voix de se dérober. Le regard dans le vide, elle semble happée par un autre univers et je la laisse continuer, ne voulant pas la sortir de cet état second.

— Je suis sûre que Jev te l'a déjà dit, vu que vous semblez proches, mais je me prostitue. Évidemment, j'aurai voulu qu'il ne le découvre pas et que personne ne le sache. Manque de bol, il a tout compris et m'a fait chanter grâce à ça, pour que je ne m'en prenne plus à toi. Je dois bien avouer que j'ai eu de la chance de tomber sur lui. C'est un mec bien et il a gardé le secret. Tout ce qu'il a voulu faire, c'était te protéger. À ta tête, je devine que tu le savais déjà. Je suis bien obligée de te remercier. On se détestait et tu aurais pu le raconter à tout le monde. Merci de ne pas en avoir parlé.

— C'est normal, c'est quelque chose de trop grave pour en parler à la légère, sans penser aux conséquences.

Elle hoche légèrement la tête et marque une pause, en se rongeant les ongles. Elle reprend, en plantant ses yeux dans les miens :

— En vérité, Emma, je ne te déteste pas. Bien au contraire, je t'envie.

— Quoi ?

Je suis tellement surprise que je ne trouve rien d'autre à répondre. Je repense à toutes mes prises de tête avec elle et j'ai du mal à croire ce qu'elle me dit.

— Depuis que je t'ai vue, je t'ai admirée. Toi qui n'as peur de rien et qui semble inatteignable. Plus je t'ai connue, plus je t'ai jalousée et plus j'ai eu envie de te détruire. Mais malgré mes provocations et ma méchanceté, tu es restée fidèle à toi-même. Tu attires les gens naturellement. Même Flynn, qui semblait détaché de tout, t'a montré de l'intérêt. Alors que moi, au contraire, je suis faible. En public, je me fais passer pour une fille extravagante qui aime attirer tous les regards. J'enchaîne les tenues provocantes et les attitudes arrogantes. Mais tout ça, c'est pour me convaincre que je maîtrise ma vie, alors que ce n'est pas du tout le cas. Mais je n'en peux plus, je n'arrive plus à continuer ainsi.

Molly libère enfin ses émotions. Elle semble si fragile et dans un élan d'affection, je l'entoure de mes bras. Elle ne me repousse pas et son corps  est secoué de spasmes. Ses yeux larmoyants me fixent et je la questionne, d'une voix douce :

— Tu veux me raconter ce qui t'est arrivé ?

— Je ne veux plus me prostituer. Mon corps n'est pas un objet ! Savoir que ces hommes profitent de moi selon leurs envies me répugne. Je me dégoûte, je n'arrive plus à me regarder dans un miroir. Entre leurs mains, je suis comme une poupée désarticulée. Ils jouissent, pendant que mon esprit vague ailleurs, refusant d'être le témoin de ces scènes. Après chaque fois, je passe des heures sous la douche, comme si l'eau pouvait me nettoyer en profondeur et panser mes plaies. Mais ça recommence encore et encore et d'autres mains palpent mon corps à la recherche du plaisir, alors que moi j'ai juste envie de vomir. Je me dégoûte tellement que je refuse qu'une personne puisse m'aimer. Alors, j'ai un comportement exécrable avec tout le monde. Je cherche à faire fuir les gens loin de moi.

Le témoignage de Molly est saisissant. Personne ne devrait être forcé à faire ce genre de chose, c'est révoltant et profondément avilissant. Je lui caresse le dos, comme pour rassurer un enfant, même si je suis consciente d'être inutile face à la souffrance qui la ronge. Je ne peux qu'être une oreille attentive.

— Est-ce que tes parents le savent ? Personne n'a essayé de te venir en aide ?

— Emma, tu ne comprends pas. Celui qui me vend, c'est mon père.

— Quoi ? m'exclamé-je, sentant la colère monter.

— Ma mère est morte à ma naissance et mon père m'a toujours tenue pour responsable. Depuis petite, il n'a pas hésité à me frapper, maudissant mon existence. Mais en grandissant, il a vite compris que mes formes pouvaient attiser des désirs. C'est vers quinze ans que mon cauchemar a commencé. Un soir, un inconnu est entré dans ma chambre et m'a jetée sur le lit. Je me suis débattue, en hurlant comme une furie, mais j'étais trop jeune et trop faible. Il m'a forcée à me déshabiller et à faire des préliminaires sexuels que j'ignorais jusqu'alors. Lorsque que j'ai vu apparaître le visage de mon père, je me suis sentie sauvée. Mais à son sourire, j'ai compris que c'est lui qui avait amené cet homme. Il s'est contenté de refermer la porte, pendant que je me faisais violer. Puis ça a recommencé. Au début, une fois tous les deux à trois mois, mais plus je grandissais, plus les clients étaient nombreux. Et mon géniteur, avide d'argent, a repoussé les limites. Si je refusais, il me battait. Avant qu'on se croise dans la rue, tout à l'heure, j'attendais un client. Quand je t'ai vue, j'ai eu l'impression d'être sauvée. Mais incapable de te demander de l'aide, j'ai préféré provoquer ta colère. Comment montrer de l'affection, quand on a été élevé dans la violence ? Je n'y arrive pas.

— Oh, Molly... C'est horrible ce que tu as vécu !

Je suis moi aussi en plein désarroi. Elle a vécu des choses tellement atroces. J'étais loin de m'imaginer que son caractère agressif cachait un tel fardeau de désespoir.

— Merci de me comprendre, Emma. Personne ne l'a jamais fait auparavant, me dit-elle, d'une voix douce et timide.

— Ton père est un vrai salaud ! Tu dis que tu es une personne faible, mais je ne suis pas d'accord ! Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi solide que toi. Le pire t'est arrivé et malgré ça, tu t'efforces de continuer à vivre et à te bâtir un futur. Je suis fière de la femme forte qui se tient devant moi ! m'exclamé-je, en serrant fermement ses doigts

— Merci... merci... merci..., murmure-t-elle, en sanglotant d'une voix saccadée. Ce sont les mots que j'ai toujours voulu entendre...

— Relève la tête, Molly. On va se battre pour survivre ! Tu vas enfin te libérer de ton bourreau ! Je sais que c'est pas facile de porter plainte et tu as peur que ça se retourne contre toi. Mais je te promets, que dès notre sortie de ce piège, je te soutiendrai dans cette démarche. Tu mérites d'être libre et heureuse. D'accord ?

— Merci pour tout, Emma... Je dois encore m'excuser pour mon comportement à la soirée de Flynn. Je m'en suis prise gratuitement à toi, tu ne le méritais pas. Je n'ai pas supporté que tu te rapproches de plusieurs garçons de ton plein gré, même si c'était pour le jeu. Moi, on m'oblige à voir plusieurs hommes en même temps et c'est invivable. J'ai retranscrit mon histoire sur toi et le fait de parler de mon père juste avant m'a excédée. Je suis désolée, j'ai mal réagi, c'était débile.

— Oh... Moi qui pensais que tu étais jalouse vis-à-vis de Flynn !

— Pas du tout. C'est vrai que je reste près de lui, mais c'est uniquement pour que les autres garçons me laissent tranquille. Je ne suis pas du tout amoureuse, même si je l'apprécie beaucoup. Je pense qu'il a senti que j'étais en détresse et c'est pourquoi, il ne m'a jamais repoussée publiquement. Enfin, avant que l'on commence à se crêper le chignon.

— Je m'attendais pas à ça, je pensais sincèrement que tu étais à fond sur lui. J'aurais jamais pensé que tu te donnais une fausse image.

— Tu sais, continue-t-elle, mon père ne s'intéresse absolument pas à ma vie. Du moment que je satisfais ses clients et que je rapporte de l'argent, il me laisse en paix. Il doit penser que je ne fais rien de mes journées et ne sait pas que j'ai intégré une fac de droit. Une fois que je ne serai plus sous son contrôle, j'aimerais me battre pour la justice et aider à délivrer les personnes dans ma situation. Et surtout, faire condamner ceux qui agissent comme mon père.

— C'est une noble cause, je suis sûre que tu y arriveras, Molly !

Elle s'apprête à me répondre, quand une voix derrière la porte nous interrompt :

— Tiens, tiens, les deux princesses se sont enfin réveillées ? Et sont devenues très amies, à ce que j'entends.

Je retiens mon souffle en me figeant. Bien que je ne voie pas le visage de notre ravisseur, je reconnais immédiatement sa voix si familière.

Promis, cette fois je t'envoie en prison !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant