Chapitre 17.

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Quand Laura sortit de la salle de bain, vêtue d'une chemise de nuit, Locas était assis sur le grand lit deux places – bien loin du minuscule lit qu'avait essayé de lui refourguer Amaryllis. Il lui lança un regard qu'elle eut du mal à déchiffrer, d'autant qu'elle ne s'attarda pas assez longtemps dans ses yeux pour découvrir ce qu'il pensait.

Ses épis bleus dressés sur la tête, la louve rangea ses vêtements dans une panière à linge et vint s'asseoir sur le lit. Un silence s'étira, pendant lequel Laura attendit patiemment que Locas prenne la parole... ou s'en aille.

Il avait l'air d'être douché, ça voulait dire qu'il était parti, et qu'il était revenu.

— Épargnons-nous le manège habituel et laisse-moi dormir directement ici, suggéra-t-il, arrogant.

Laura éclata de rire face à son air sur de lui, qui, elle l'aurait juré, cachait une profonde faiblesse. Elle se doutait que revenir ici si tôt après son retour n'était pas une si bonne idée que ça. Esquissant une moue, la louve s'allongea sous les couvertures, tendit qu'il restait par-dessus. Étonnamment, il faisait frais dans les souterrains, comme si les chaleurs de l'été n'atteignaient pas ce lieu enfoui sous terre.

Fixant le plafond sculpté, la louve bleue garda le silence, incapable de se rendormir maintenant que Locas était allongé près d'elle. Un long silence s'établit, et il fut évident que ni l'un ni l'autre ne s'endormirait de sitôt. Poussant un profond soupire, Laura se tourna sur le côté, bien vite imité par le mâle, qui la dévisagea. Fixant ses yeux bruns sur sa clavicule, elle se lécha nerveusement les lèvres.

— Parle-moi d'elle, suggéra-t-elle, incapable de supporter ce silence plus longtemps.

Il se remit sur le dos, et la louve s'autorisa à détailler son profil. Il avait un nez long et droit, des lèvres fermes et fines, un peu rosées, une peau qui paraissait douce, bien qu'un trop long séjour dans sa forme loup avait creuser ses joues couvertes d'une ombre de barbe. Laura s'en voulut en songeant qu'elle n'avait pas dû bien le nourrir. Normalement, les deux corps étaient co-dépendants. Si elle mangeait sous forme humaine, la louve aussi était nourrit et inversement. Mais après tout, elle n'avait jamais entendu parler d'un changelin gardant sa forme animale pendant très longtemps avant de redevenir humain. Peut-être que ça avait eu des conséquences.

— On s'est rencontré au bal d'Automne. Ma meute, comme toutes les meutes des alentours, à une propriété près de Jaykam, et cette année-là, c'était nous qui recevions. J'étais un jeune lieutenant prometteur, je savais qu'un jour je serais alpha, mais que pour ça il me fallait une compagne, afin que les humains me foutent la paix. Je n'avais pas envie de demander au hasard la fille d'un couple alpha voisin, comme ça se fait parfois. J'avais vingt-six ans.

Laura retint son souffle lorsqu'il se mit à parler, d'une voix basse et grave. Elle regrettait déjà d'avoir posé la question, et pourtant, ça semblait la meilleure solution pour lui. Exorciser la présence de Mary-Ann en parlant d'elle à quelqu'un d'autre. Même si ce quelqu'un d'autre n'avait pas envie d'en entendre parler.

— C'était une future lieutenante, qui accompagnait son alpha pour être testée. Quand je l'ai vu passer la porte, j'ai su que je voulais que ce soit elle.

Il se tourna vers elle, comme en quête de son approbation, mais comme elle gardait le silence, il poursuivit.

— Elle portait une robe magnifique, et je me souviens d'avoir dit à mon frère, Lieutenant lui aussi « c'est elle, c'est avec elle que je vais m'unir ». Mais elle a attiré beaucoup de regards ce soir-là. Je ne me suis pas laissé démonter, et j'ai gagné le droit de lui faire la cour.

Laura ignorait si c'était comme ça aussi chez les autres espèces, mais elle savait que les loups avaient une manière très particulière de concevoir l'amour. Lorsque plusieurs loups étaient sur la même femelle, soit celle-ci choisissait son favori, et les autres étaient obligé de se rétracter, soit elle les laisser se battre pour déterminer le meilleur parti. Laura n'avait jamais vraiment apprécié cette idée, mais après tout, ce n'était pas vraiment comme si les hommes se battaient à ses pieds. Elle n'était pas un canon comme Camille, qui s'était trouvé dans ce genre de situation plusieurs fois dans le passé.

— Ce soir-là, je lui ai dit que je serais bientôt alpha, et que si elle s'unissait à moi, elle deviendrait ma compagne alpha. Tu sais ce qu'elle m'a dit ? Elle m'a ri en nez et c'est exclamer « retourne jouer dans les jupes de ta mère, je désire un homme qui m'aime, pas un homme puissant. »

Laura ne put s'empêcher de glousser, trouvant soudain Mary-Ann fort sympathique.

— À l'époque je n'avais pas idée d'à quel point j'avais raison. Je suis devenu alpha quelques lunes plus tard, après que le précédent fut mort du typhus. J'étais le loup le plus puissant, indépendamment de ma place dans la hiérarchie des lieutenants. Je connaissais sa meute d'origine, et je me languissais d'elle. Alors quand ce fut officiel, je suis allé la voir, et je lui ai dit que j'étais alpha, que je l'aimais, et que j'étais prêt à m'unir à elle sur le champ.

Laura se tortilla, trouvant cette histoire très intime, elle n'avait pas forcément envie de savoir combien Locas avait aimé sa compagne, et elle savait parfaitement pourquoi ça la dérangeait.

— Elle s'est moquée de moi en disant que j'étais un imbécile, qu'un homme ne pouvait pas aimer une femme qu'il connaissait à peine. Alors tous les soirs pendant deux semaines je l'ai invitée à dîner, à sortir, je lui offrais des fleurs et des présents. La pleine lune suivante on s'unissait.

Il roula de nouveau sur le dos, comme s'il avait du mal à rester immobile.

— Ces dernières années, je l'ai un peu délaissé, je crois... si tu savais comme je m'en veux, maintenant.

Laura glissa les deux mains sous sa tête pour s'empêcher de tendre les doigts vers lui. Elle mourrait d'envie de le réconforter, mais savait que le contact d'une autre femme ne pourrait que le mettre plus mal encore.

— Je suis sûr qu'elle savait que tu l'aimais, chuchota-t-elle, à défaut de faire mieux.

Son regard s'assombrit, mais il n'ajouta rien sur le sujet.

— Et toi, tes amours ?

Il tourna la tête vers elle, et c'était comme si la conversation sérieuse qu'il venait d'avoir s'évanouissait dans l'air. Pas dupe, Laura fit tout de même semblant de croire à son air enjoué.

— Mon dernier petit ami a trouvé son opposée.

Locas grimaça.

— Désolé, tu l'aimais ?

Laura haussa vaguement les épaules.

— Non.

— Alors pourquoi tu sortais avec lui ?

— Il était gentil.

Il eut un petit ricanement.

— J'espère que tu ne lui as pas dit !

— Pourquoi ?

Laura se redressa pour mieux le regarder.

— Aucun mâle ne veut s'entendre dire qu'il est « gentil ».

— Les mâles sont stupides, rétorqua la soumise en se laissant tomber sur le dos. Les femmes aiment les hommes gentils.

— Crois-moi, Laura, les femmes aiment les mauvais garçons, je sais ce que je dis.

Laura pouffa.

— Tu ne me feras pas croire que tu es un mauvais garçon.

Il plissa les yeux.

— Pourquoi pas ?

— Tu as charmé ta femme en étant gentil !

Il se dressa soudain, l'air outré.

— J'ai tout, sauf été « gentil » !

— Tu l'as invité tous les soirs au restaurant : c'est gentil.

Il renifla en se rallongeant, les bras croisés, et l'air boudeur. Le silence s'étira et Laura craignit de l'avoir vexé.

— Hey... c'est pas mal, tu sais... d'être gentil. On en a marre de ceux qui nous brisent le cœur.

Comme elle ne reçut aucune réponse, Laura se redressa doucement.

Il dormait.

5 - La Meute Eclipse - Lueur SauvageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant