Chapitre 24.

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Un profond silence avait envahi la forée. La nuit était profondément ancrée, désormais. Laura n'aurait pas su dire depuis combien de temps elle était terrée sous l'immense rocher. Elle n'osait pas en bouger, c'était comme si tout son corps, depuis le coup de feu, s'était figé d'effroi. Les chasseurs avaient-ils abattu Locas ? Était-ce la raison du silence endeuillé des bois ? Elle refusait d'y croire, elle refusait d'imaginer que son loup gris grincheux ait pu se faire avoir par une balle pour la protéger parce qu'elle avait été trop stupide pour rester en sécurité.

Laura n'ignorait rien des tensions grandissantes entre changelin et humain, ça ne l'avait pas empêché de trouver judicieux de fuir Greenstep sous forme louve. Elle était stupide et Locas était probablement...

Une ombre bondit face à elle et elle sursauta en grondant un avertissement. Mais un rayon de lune lui indiqua l'identité de l'intrus.

Le soulagement fut si violemment que Laura se jeta sur Locas en jappant comme un chiot excité. Celui-ci portait dans sa gueule un gros lièvre dodu et son odeur sanglante mit l'eau à la gueule de la louve. Locas le laissa tomber entre eux, mais Laura se garda bien d'esquisser un mouvement vers la proie. Chez les loups, c'était le plus dominant qui mangeait en premier, laissant les restes aux soumis, et la jeune femme ne les pensait actuellement pas assez civiliser pour faire passer cette règle au second plan. Les seuls moments où elle pouvait être enfreinte, c'était lorsque le plus dominant apportait à manger à sa compagne ou son compagnon, or, ce n'était pas la relation qu'ils avaient.

Il la dévisagea sans un mot, et Laura se coucha, en attendant qu'il se décide à manger. Elle ferma même les yeux tant il prit de temps. Elle ne l'entendit pas bouger, mais l'instant d'après une vive douleur à son oreille la fit bondir et elle lui lança un regard outré avant de comprendre que la proie était pour elle.

Laura l'aurait bien fusillé du regard pour ce manquement aux règles les plus élémentaires de la vie de meute, mais elle n'était pas certaine qu'il ne prendrait pas ça comme un défi. Et les soumis ne défiaient jamais les dominants.

Elle hésita encore, mais pas bien longtemps, car Locas se mit à gronder. La proie était encore chaude, comme s'il l'avait attrapée peu de temps auparavant. Sous ses crocs, les os du lièvre ne firent pas long feu, elle déchiqueta la peau du ventre pour se repaître de ses chairs. Les animaux sauvages n'étaient pas aussi juteux que les animaux de ferme, élevée pour l'abattoir, mais les loups n'avaient pas le droit de voler les moutons des agriculteurs, même ceux qui étaient malades ou blessés. Heureusement, Éclipse faisait en sorte de garder un œil sur les espèces qui peuplait leur territoire, de sorte qu'il y ait toujours suffisamment de proies à chasser.

Son repas terminé, Laura se lécha les babines et le museau et bailla. Mais Locas n'était de toute évidence pas du même avis qu'elle, car il lui donna un coup de queue pour l'inciter à le suivre. N'ayant pas d'autre choix que de lui obéir, la soumise bondit sur ses traces malgré la fatigue, et l'un derrière l'autre ils coururent sur plusieurs kilomètres. Laura comprit qu'il préférait voyager de nuit, lorsque les humains ne chassaient pas les loups.

La soumise fut soulagée de savoir qu'il n'y avait pas beaucoup de kilomètres à parcourir entre Jaykam et le Manoir, et qu'ils étaient bien plus rapides qu'une chimère éléphant. Elle ne sut pas exactement où elle trouva l'énergie de courir jusqu'au territoire Éclipse ni celle de marcher, essoufflé, jusqu'à l'entrée de l'habitation principale de sa meute, mais elle le fit.

Le jour se levait à peine lorsqu'elle posa les pattes sur les premières marches qui menaient vers l'entrée. La louve n'avait qu'une idée en tête, s'écrouler quelque part et dormir toute la journée et rien ne pourrait l'en empêcher.

Même Locas, qui se transforma en humain à peine les portes franchisées.

— Laura ! Reviens ici, il faut qu'on parle !

Oh non, je ne crois pas !

La soumise détala aussi vite que possible vers sa chambre et s'y enferma à clé, se retransformant, elle s'écroula sur son lit.

Elle dormait avant même que sa tête n'ait touché l'oreiller.

Locas jura en voyant le cul bleu de Laura disparaître dans les couloirs. Il avait beaucoup de choses à lui dire, et elle aussi, allait devoir s'expliquer. Il la suivit, mais arriva au moment où il entendit le verrou de sa chambre s'activer.

Bon, soit, elle était fatiguée, lui aussi, mais qu'elle n'aille pas s'imaginer qu'il la laisserait s'en tirer si facilement. Elle s'était mise en danger et à défaut de lui mettre une fessée – ça restait une soumise tout de même – il pourrait bien lui passer un savon. Elle l'apprécierait mieux une fois en forme.

Se dirigeant vers sa propre chambre, il prit une douche, puis fit un détour vers la cuisine pour manger avant d'aller se poster devant la porte de Laura. Il était un loup, il pouvait dormir n'importe où même juste devant sa porte.

Comme ça, il serait le premier au courant quand elle se réveillerait.

***

Quand Laura se réveilla, la nuit était encore présente. Elle avait dû dormir toute la journée et une partie de la nuit, mais elle se sentait enfin plus reposée... et affamée.

Se levant difficilement elle alla prendre une douche avant de revêtir un tenu confortable. Que son patron ne compte pas sur elle pour venir travailler. La soumise culpabilisait un peu de laisser des collègues faire face seule à la vague de personne venue pour assister au Grand Concours Royal qui devait commencer... eh, bien aujourd'hui, à en croire son calendrier lunaire. Demain soir, c'était la pleine lune du milieu d'été. Laura sentit un frisson d'exaltation lui parcourir le dos. Elle adorait les pleines lunes, c'était les seuls moments du mois où sa louve ne faisait pas la différence entre les amants soumis et dominants. Laura était souvent reléguée au second plan, et pour sa louve, alors que les ombres de la nuit se déployaient et que les instincts remontaient à la surface, la frontière humaine entre dominant et dominé se brouillait.

Rendue insouciante par ces pensées, Laura ouvrit la porte de sa chambre... et trébucha sur quelque chose de chaud, doux et moue. Un hurlement lui échappa alors qu'un couinement sortait de la chose qu'elle venait de percuter. La chose, qui en réalité était un gros loup gris mécontent, se leva d'un bon, achevant d'ôter l'équilibre de Laura, qui tomba en avant dans un grand « badaboum » dépourvue de grâce. Heureusement, le tapis épais et doux amorti en partit sa chute.

Laura fusilla du regard Locas, qui la dévisageait avec surprise et culpabilité.

— Oh non ! je refuse de t'adresser la parole tant que je n'ai pas englouti un... non, trois muffins ! minimum.

Laura se leva et se mit à marcher d'un pas ferme vers la cuisine.

— Laura, ne fuit pas, saleté de soumise ! jura Locas en la suivant.

— Je ne parle pas aux hommes nus ! s'exclama-t-elle sans le regarder.

— Oh ? t'as vie sexuelle doit être bien terne ! Mais ce n'est pas le sujet, arrête de fuir bon sang !

— Je ne fuis pas je vais à la cuisiner pour manger, parce que tu m'as fait courir toute la nuit, j'ai faim ! Et habille-toi, bon sang !

— Je suis un changelin et il fait nuit, je n'ai que faire de vêtement, Laura !

— Le nudisme n'est pas toléré dans le manoir, couvre-toi je refuse de te parler si tu es nue !

Laura avait les joues brûlantes, de colère ou de désir, elle n'aurait su le dire. Incapable de regarder Locas dans les yeux, si elle devait lui faire la conversation alors qu'il était nu il lui serait impossible de ne pas laisser son regard dériver... et bien, à cette partie tout à fait intéressante de son anatomie, et qui ne devrait pas susciter en elle tant de curiosité.

Locas lâcha une bordée de jurons peu reluisants.

– Tu as gagné, je vais m'habiller, ne t'avise pas d'avoir disparu de la cuisine quand je reviens !

— Je ne bouge pas ! promis ! assura Laura, imitant du mieux qu'elle pouvait l'air angélique de Llea.

Cours toujours, songeait-elle en elle-même, cours toujours.

5 - La Meute Eclipse - Lueur SauvageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant