Chapitre 60.

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La petite fille sursauta alors qu'un rugissement lui parvenait de l'autre côté de la table.

Accroupie les mains sur les oreilles elle cria quand une chaise vola dans la pièce pour aller exploser contre le mur tout près d'elle. Un éclat de bois lui déchira la main et elle se mit à pleurer de plus belle. Elle tremblait tellement qu'elle avait du mal à bouger et pourtant son instinct lui disait de ne pas rester au milieu du mur.

Son père était furieux, et c'était de sa faute, elle avait mangé le dernier morceau de brioche, par gourmandise, alors que son père le voulait. Elle ne le savait pas, évidemment, comment aurait-elle pu le savoir. Il était rentré tard ce matin-là, fatigué par sa nuit de patrouille, et quand il avait surpris la petite fille dans la cuisine pour son petit déjeuner, il avait vrillé.

Laura se mit difficilement à quatre pattes, espérant fuir la colère de l'homme et rejoindre la porte du salon, qui était fermé. Mais pour ça elle devait contourner son père qui continuer à lui gueuler dessus, l'insultant de tous les noms. Une seconde chaise vola et Laura cria en se recroquevillant sur elle-même. Elle n'avait jamais vu son père dans un tel état de colère. Bien sûr, il criait souvent, mais il ne s'acharnait jamais sur le mobilier et la vaisselle quand elle était dans la même pièce que lui.

La fillette de neuf ans reprit sa marche, pas à pas, sans se soucier des éclats de bois qui s'enfonçait dans ses mains et ses genoux et elle trouva refuge dans un coin entre le mur et le bar de la cuisine. Son père cria plus fort et en l'absence de chaise il renversa la table qui vint s'écraser là où se tenait Laura quelques instants plus tôt. Elle gémit de peur, les yeux fermés les mains sur les oreilles.

Faite que ça cesse, pitié, faite que ça cesse, répétait-elle en boucle dans sa tête alors que les verres commençaient à voler, et à éclater en millier de morceaux sur les murs et le sol. Ils étaient tout neufs.

Stop ! Stop ! STOP ! hurla son esprit.

L'instant d'après, la louve encore latente de Laura bondit à la surface de son esprit et de son corps, s'imposa, prit toute la place, et son aura explosa dans la pièce.

Douce, apaisante, dépourvue de puissance ou de tout ce qui aurait pu pousser le dominant à s'en prendre à elle par instinct.

Désormais, Laura serait soumise.

— Tout va bien se passer, assura Camille en prenant la main de Laura.

Celle-ci revint à l'instant présent. Plus le temps de fuir, son passé devrait rester derrière elle, même si en entrant dans la pièce, elle eut de nouveau l'impression d'avoir neuf ans.

Quand elle était allée à l'école, le matin de sa transformation, Anya, sa meilleure amie de l'époque, avait senti le changement. Elles faisaient toutes deux preuve d'une grande indépendance et d'un leadership indéniable. Les adultes prédisaient qu'elles seraient dominantes. Chez certains enfants ça se voyait avant la transformation et chez Laura et Anya c'était indéniable. Mais ce matin-là, Laura était arrivée à l'école avec des pansements et une aura de soumise. Anya l'avait tellement harcelé qu'elle avait fini par tout lui raconter. À neuf ans elle n'avait pas pris conscience que ce qui se passait dans son intimité n'était pas normal. Anya en avait parlé à sa mère qui en avait parlé à Lashlan. Celui-ci avait convoqué un tribunal et forcé Laura à témoigner. La petite fille avait détesté chaque second passé au sein du tribunal. Les regards de pitié, les chuchotements sur son compte, les « je me disais bien qu'elle était bizarre cette gosse », les « je ne l'avais pas vu venir, elle était tellement joyeuse ! » ou encore les « pourquoi elle à pas parler plus tôt ! » et tous ces sous-entendus qu'elle était en partie responsable de sa situation.

On lui avait fait répéter plusieurs fois sa version des faits et elle avait fini en larme, mais à l'époque personne ne s'était soucié de ça, les adultes avaient des choses plus importantes à régler. Son père était devenu solitaire forcé, on avait marqué son visage afin que personne n'ignore sa faute et qu'aucune meute ne l'accepte en son sein. Aucun loup ne survivait longtemps seul, surtout l'hiver. La mère de Laura avait été traitée comme une victime de son compagnon, mais celle-ci était son opposé et elle avait haï Laura de lui avoir enlevé son mâle.

Elle lui avait fait payer chaque minute qu'elle avait passé auprès d'elle. Laura avait fini demander à être indépendante à l'âge de seize ans, avec les encouragements de Camille, qu'elle avait rencontré quelques années plus tôt.

Aujourd'hui tout se rejouer, ce n'était jamais qu'un autre dominant violent qui allait recevoir un châtiment par sa faute, brisé le cœur de sa famille probablement, qui lui en voudrait à elle d'avoir parlé. Parce qu'on n'en voulait jamais à l'agresseur d'avoir agressé, mais toujours à la victime d'avoir parlé, d'avoir brisé la vie et la famille de l'agresseur en le dénonçant.

Le tribunal était bondé, Laura aurait préféré que ça se fasse en huis clos, mais Camille avait affirmé qu'il était temps de purger la meute de ce type d'individus en faisant de Mael un exemple. Locas était aux premières loges, dans un fauteuil roulant, et il lui lança un regard grave et encourageant quand elle entra. Elina était assise sur le fauteuil du juge, là où normalement c'était à Ethan de s'asseoir, celui-ci était debout à ses côtés et une chaise avait été faite ajoutée pour Maya. Le tribunal était globalement assez similaire à ceux des humains, Mael était d'un côté de la pièce et Laura et Camille, qui la représentait, était de l'autre côté. Laura s'abstint de regarder le dominant, elle savait qu'elle lui avait laissé des cicatrices horribles et un œil en moins. Ça avait dû être horriblement douloureux. Elle n'arrivait pas à se souvenir de ce qui lui avait pris de s'en prendre ainsi au mâle.

Ethan annonça le début de la séance. Tout se passa comme dans un cauchemar. Laura fut appelée à témoigner, elle raconta avec honnêteté tout ce qui s'était passé, fixant Locas dans les yeux pour ne pas voir le jugement dans celui des autres. Elle n'était pas fière de son comportement, de toutes ces fois où elle s'était laissé faire, mais elle n'avait d'autre choix que de dire la vérité.

Puis Locas donna sa version des faits, parlant de ce que Laura lui avait confié, avouant sa faute de silence. Camille prit à son tour la parole, raconta ce qu'elle avait surpris et la position de Locas lorsqu'elle était entrée dans la pièce, ôtant tout soupçon à ce que comptait faire Mael.

Comme le voulait la justice changeline, Mael aussi fut entendu. Tout ce qu'il trouva fut de jouer sur la violence de Laura pour la discréditer, mettant en avant sa folie et mentant ouvertement sur les avances qu'elle lui avait faites et qu'il avait refusées. Mais personne ne fut dupe.

Une fois qu'il se fut tu – avec un bâillon parce qu'il n'arrêtait pas de brailler – Ethan soupira.

Il eut à peine besoin de regarder Elina et Maya celle-ci récitèrent un « coupable » sans équivoque.

— Je déclare Mael coupable de tentative de viol, d'agression sexuelle, de tentative de meurtre avec préméditation, et le condamne à mort.

Le marteau de la justice s'abattit et Laura sentit ses jambes trembler. Elle venait de condamner un homme à mort pour protéger d'autre femme. Les bras d'Ethan se refermèrent autour d'elle et elle se mit à trembler de soulager. Son alpha la soutenait, c'était terminé.


5 - La Meute Eclipse - Lueur SauvageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant