Les lèvres de Locas étaient douces et prudentes. Ce n'était pas tant un baiser de passion qu'une demande polie et mesurée. Pourtant, Laura sentit tout son être se tendre vers lui, comme si ça faisait des mois qu'elle n'attendait que ça. Elle se surprit à répondre au baiser, ses lèvres remuèrent, son corps s'agita pour se rapprocher...
Et sa louve se jeta sur les parois de son esprit, lui hurlant qu'elle faisait une erreur.
Laura bondit en arrière, le souffle court, laissant Locas, légèrement déséquilibré. Elle fut incapable de soutenir le regard surpris qu'il lui lança, tant elle tremblait.
De quel droit... comment ...
— Laura... ? s'étonna-t-il à voix basse, sans chercher néanmoins à combler l'espace entre eux.
— Je ne suis pas Mary-Ann, parvint-elle à articuler malgré la douloureuse boule de compréhension qui lui bloquait la gorge.
— B-bien sur...
— Je... je suis peut-être qu'une soumise, mais je crois que je mérite quand même un minimum de considération...
Parler lui demandait des efforts, sa louve, après son premier bond de côté, plaquait ses oreilles contre son crâne et sa queue sous son ventre, inquiète de la réaction du prédateur face à elle. Mais elle aussi était une prédatrice ! voulait lui rappeler Laura. Elles étaient des louves, et elles avaient le droit de se faire entendre.
Locas souffla de nouveau son prénom, comme si elle l'avait blessé. La mâchoire et les poings serrés pour lutter contre son instinct de soumission, elle s'efforça de poursuivre.
— Je ne remplacerais jamais Mary-Ann, et je... mérite... un homme...
Les mots s'étranglaient dans sa gorge, Locas avait initié un mouvement vers elle et sa louve la suppliait de se taire et de céder.
— Un homme, reprit-elle plus fermement, qui m'apprécie et me considère pour qui je suis, pas juste... qui... se sers de moi pour passer son chagrin.
Locas eut un mouvement de recul, et elle comprit qu'elle l'avait blessé. Mais lui aussi. Elle savait bien que certains dominants considéraient les soumis comme moins importants, tout juste bons à servir leur désir, mais elle était attristée de constater que c'était le cas de Locas.
Elle fit un pas en arrière, tapant nerveusement la pointe de sa sandale contre le sol.
— Je... je vais y aller.
Et tournant les talons, elle fit la seule chose en son pouvoir pour être sûre qu'il ne la suivrait pas : elle s'enfuit.
Les dominants n'ont pas le droit de suivre les soumis qui fuient. C'était une règle universelle de la relation dominant-dominé. De ce fait, Locas ne la suivit pas et Laura, au bout de quelques minutes ralentit le pas, pas si pressée que ça de retrouver le Terrier. De toute façon, maintenant qu'elle se retrouvait dans cette immense plaine balayer par des vents immémoriaux, elle ne savait plus par où aller pour retrouver l'entrée amovible. Le vent éternel empêchait les odeurs de se fixer aux brins d'herbe et de créer un chemin, il fallait être né sur ses terres, ou y vivre depuis longtemps pour le retrouver sans difficulté.
Lasse, Laura se mit à marcher au hasard, espérant finir par tomber sur un membre de la meute qui la reconduirait. Il n'y avait pas beaucoup d'animaux, remarqua-t-elle, dans ces pleines, seulement des lapins carnivores, de sale petite bête chasseuse et avides de viande, vicieuses en groupe, mais trouillardes seules. Heureusement, elles ne s'attaquaient jamais aux loups, leur prédateur naturel.
Il sembla à Laura qu'au moins une heure s'était écoulée avant que quelqu'un ne la trouve. Le soleil tapait fort et elle commençait à avoir mal aux yeux, quand Amaryllis vint à sa rencontre. La soumise à la peau mate avait le visage fermé.
— Locas veut que tu t'en ailles, déclara-t-elle en guise de salutation.
Laura sentit sa gorge se serrer et une vague de culpabilité la saisit. Elle aurait dû laisser Locas faire ce qu'il voulait, ils seraient encore amis à l'heure qu'il est...
Non ! Repoussant ces pensées négatives, Laura carra les épaules. Elle avait eu raison. Que Locas l'embrasse là où il avait embrassé Mary-Ann pour la première fois était inadmissible. Elle n'était pas un lot de consolation, et s'il lui en voulait et bien... tant pis pour lui. Ça lui brisait le cœur de savoir que son ego aura été plus fort que le début de cette relation maladroite qu'ils avaient eu, mais c'était ainsi. Laura avait déjà vécu cette situation, qu'un homme ne s'intéresse à elle que pour le sexe n'était pas nouveau, même si qu'un homme s'intéresse à elle tout court n'était pas courant. Seulement, Laura n'était pas aussi libre et dévergondée que Camille, coucher pour coucher, elle ne savait pas faire. Elle aurait dit que c'était une tare de soumise, si elle ne connaissait pas quelques-unes de ses semblables très libres sur le sujet. Laura était une indécrottable romantique, voilà son problème : elle rêvait du grand amour. De préférence avec un gentil soumis qui ne la penserait pas remplaçable.
— Je vais chercher mes affaires, soupira la louve bleue.
Amaryllis serra les lèvres.
—Mieux vaut pas, tu devrais partir maintenant, avec un peu de chance tu atteindras l'auberge la plus proche avant la nuit. Au pire, tu es une louve, tu peux bien dormir entre les racines qu'un arbre. On fera expédier tes affaires dès cette après-midi.
Songeant que Locas ne voulait certainement plus la croiser, Laura, acquiesça, et se déshabillant, puisque de doute manière elle n'avait pas sur elle l'argent pour une auberge, elle changea. Pour Laura, le changement était comme une vague de fourmillement dans tout le corps, qui la chatouillait et la laissait un peu désorientée une fois à quatre pattes.
— Alors ton pelage est vraiment bleu quand tu te transformes, s'étonna Amaryllis, qui avait laissé de côté son air dédaigneux.
Laura s'ébroua pour chasser les fourmis qui picotaient sa peau et pressa son museau contre la main de la louve pour lui dire au revoir. Le comportement de Locas lui brûlait encore l'estomac, et elle s'efforça de se convaincre qu'elle prenait la bonne décision. La louve, qui ne ressentait pas le chagrin, mais seulement son instinct, prit les reines, étouffant l'humaine qui put pleurer en silence la perte de Locas.
Elle se sentait bête d'avoir pensé qu'il serait différent des autres dominants. Il lui avait pris un baiser, sans vraiment s'assurer de ce qu'elle en pensait, sans lui demander clairement son avis. Pourtant, s'assurer du consentement de son partenaire, c'était la base dans une relation soumis-dominant...
Mais évidemment, Locas ne voulait pas de relation. Il n'y avait qu'elle qui avait espéré... pendant un bref instant, elle avait espéré, et elle se trouvait d'autant plus stupide qu'elle savait parfaitement que ce n'était pas réciproque. Le loup était encore amoureux de sa compagne, elle n'avait rien à faire entre eux.
Rien du tout.
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5 - La Meute Eclipse - Lueur Sauvage
FantasyLocas est brisé. Depuis la mort de sa compagne, il a abandonné sa forme humaine pour se complaire dans son animal, au point que plus personne ne l'appelle par son nom. Désormais Loup, ses seuls plaisirs résidents dans les visites régulières d'une do...