Chapitre 5

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– Oh, j'te parle ! T'es sourde en plus d'être laide ?, insiste Ottilie, installée en face d'elle.

« Ça ne finira donc jamais ? »

Théodora continue de l'ignorer, préférant s'affairer sur sa besogne.

– Visib'ment oui. Je plains tes filles.

À mention de ses enfants, Théodora sent ses doigts se crisper sur le drap blanc, tellement fort qu'elle a l'impression qu'il va se déchirer. Elle n'a pas le droit de parler d'elles, c'est une frontière à ne pas franchir. Sans qu'elle la contrôle, une rage écarlate lui monte jusqu'à la gorge menaçant de sortir.

– Elles n'doivent rien comp'endre à une mère sotte. Pt'être qu'elles l'sont aussi.

Sa réflexion fait rire toutes les autres blanchisseuses, sauf Théodora. Celle-ci ne peut plus se retenir, la pression de ses deux dernières années s'expulse enfin.

– Laissez-moi, dit-elle doucement, les veines visibles sur ses tempes

– Qu'est-ce tu dis ?

– J'ai dit « laissez-moi tranquille », répète-elle encore calme, mais son visage prends une teinte cramoisie.

– Oh mais c'est qu'elle s' rebelle, l'laideron !, dit Ottilie qui lâcha son linge pour venir près de Théodora. Son accent et ses mots mal formés rappelle l'éducation à la dure qu'elle a vécu quand elle est arrivée en Angleterre, à l'âge de treize ans et où on l'a forcé à abandonner son accent irlandais. Visiblement, le naturel revient au galop.

– Tu sais quoi ? J'aime pas trop la façon dont tu causes, toi !, rajoute Constance, qui vient se mettre de l'autre coté de la jeune mère.

– S'il vous plaît, laissez-moi faire mon travail, Théodora lâche la nappe et pose ses mains sur le rebord du bassin. La tension dans son corps est insoutenable.

– On te laissera quand on l'auras décidé !, balance une autre blanchisseuse derrière elle.

– J'ai bien envie de te frapper, moi, menace une autre, à l'autre bout de l'atelier qui s'approche de Théodora aussi.

Les autres blanchisseuses se positionnent autour d'elle, aucun échappatoire n'est possible. Quand elle se retourne, près d'une quinzaine de visage la fixe, les yeux remplis de haine et de jalousie. Les cris fusent de tous les cotés, ne laissant aucun répit à ses tympans. Déformées par la colère, leurs têtes semblent se mélanger, se confondre. Le bruit assourdissant de leurs cris paralyse le corps de Théodora. Mais au lieu d'être terrorisée par la peur, la haine s'empare de tous ses membres et pour la première fois, ses poings se forment et se resserrent. Cette fois-ci, elle ne se laisseras pas faire.

Ottilie est devant elle, continuant à l'insulter et lorsque ses mains poussent Théodora contre le bassin, son propre poing atterrit violemment dans la joue de la rousse accompagné par le bruit fracassant des dents et de sa mâchoire brisées. Celle-ci s'écroule au sol, inconsciente et la bouche en sang. Le temps semble suspendu, la jeune femme est sous le choc et encore en haleine. La pression vient de retomber et elle a du mal à respirer. Ottilie est bientôt entourée par les autres blanchisseuses qui tente de la réanimer. Mais ce qui glace le sang de Théodora est le regard de haine de Constance, qui tient Ottilie dans ses bras pendant qu'une autre blanchisseuse va prévenir Mme Clubb. En revanche, les regards choqués des autres employées lui donne un certain sentiment de satisfaction. La cheffe arrive peu de temps et voyant le spectacle, appelle de l'aide. Tout va si vite que Théodora n'arrive plus à suivre, son cœur bat toujours la chamade.

Une fois Ottilie partie avec le médecin, Mme Clubb se tourne vers les blanchisseuses.

– Quelqu'un va-t-il m'expliquer ce qui s'est passé ?

– C'est Théodora, crie Constance, elle a frappée Ottilie sans raison. Nous avons essayé de l'en empêcher mais rien à faire, cette fille est une vraie furie !

– Est-ce vrai Théodora ?

Celle-ci, essoufflée et reclus dans un coin de la pièce, ne réponds rien. Elle a peur de perdre son travail mais elle n'ose pas le dire à voix haute, elle ne veut pas la charité. Elle se contente alors de secouer la tête.

Voyant l'état de la jeune mère, Mme Clubb s'approche doucement d'elle.

– N'avancez pas vers elle, cette fille, c'est le diable en personne, crie Constance, bientôt rejointe par les autres.

– Théodora, est-ce que ça va ?, demande la cheffe, faisant fi des cris. Ceux-ci cessent au ton doux de Mme Clubb.

Quand elle est arrivée à sa hauteur, Théodora ne peut se retenir plus longtemps et fonce dans les bras de Mme Clubb, qui se referment sur elle. La maigre brune éclate en larmes. Comme si elle comprenait, la cheffe se tourne vers les autres femmes, les yeux écumant de rage.

– Vous êtes fières de vous ?

Les employées, en particulier Constance, laissent tomber leurs mâchoires.

– Mais Madame, c'est de sa...

– Ne me prenez pas pour une idiote ! Vous croyez que je ne sais pas ce que vous lui faites subir depuis qu'elle est arrivée ici ? Il faudrait être sourde pour ne pas entendre vos idioties ! La seule chose sotte qu'elle ait pu faire, c'est de ne pas avoir riposter plus tôt ! Vous avez de la chance que j'ai besoin de beaucoup de main d'œuvre, sinon je vous aurais toutes renvoyées !

Avec toujours Théodora dans ses bras, elle l'emmène dehors pour prendre l'air mais elle ne voit pas le regard plus haineux que jamais de Constance, qui reste fixé sur la jeune mère tandis que les autres employées se remettent à l'ouvrage.

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant