Chapitre 7

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Renvoyée.

Elle est renvoyée.

Mme Clubb ne l'a pas crue et avec l'aide de Constance, l'ont jeté dehors comme une chienne errante. Son châle toujours sur ses épaules, elle commence à marcher mais pas vers son foyer. La tête plus basse que terre et le menton dans son cou pour se réchauffer un peu, Théodora n'ose même plus regarder en face d'elle. Elle ne prête aucune intention aux piétons qu'elle heurte et qui l'insulte de tous les noms, mais elle en a cure.

« Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? »

Recroquevillée sur elle-même, marchant tout droit, sans but. Elle a de la chance qu'une calèche ne l'écrase, Théodora semble traverser la route et les Londoniens comme si elle passait entre les gouttes. Ses larmes ne tardent pas à arriver à mesure qu'elle marche de plus en plus vite.

« Qu'est-ce que je vais faire ? », cette question lui tiraille le cœur et elle ne trouve aucune réponse. Le choc de son licenciement est encore trop vif, impossible de réfléchir normalement et de toute façon, ce n'est pas ce qui la préoccupe en ce moment. Tout ce qu'elle veut, c'est marcher. Marcher et marcher sans fin, comme sa misère. Comme sa vie qui lui échappe. Sa vie et celles de ses filles.

D'un coup, son pied butte sur un pavé trop surélevé et la voilà projetée violemment au sol. Elle se retient grâce à ses bras mais elle ne se relève pas. Théodora n'en a pas la force.

« Qu'est-ce je vais faire, mon dieu ? Comment trouver un autre travail en si peu de temps ? »

Quand elle relève la tête, la Tamise paisible est traversée par un léger courant. Sans qu'elle le sache, elle est jusqu'au docks; à ses cotés, les pêcheurs débarquent leurs provisions à quai dans un rythme effréné tandis que les marchandes de poissons attendent leurs futurs articles. A l'horizon, elle voit l'autre rive de la capitale anglaise, elle n'est pas si différente de là où elle est: les mêmes maisons, les mêmes cheminées, les mêmes fumées, probablement la même misère. Les beaux quartiers se trouvent au-delà de cette sombre vue, ce monde inaccessible et inconnue que ni elle, ni ses filles ne connaîtront jamais.

« Qu'est-ce je vais leur dire ? J'avais déjà à peine de quoi leur offrir un foyer et les nourrir. Les quelques pens que je gagne ne suffiront jamais. »

Derrière elle, des femmes soulevant leurs jupons pour dévoiler leurs chevilles et leurs jambes, s'avancent de manière suggestive vers des hommes quelconques, cherchant déjà de l'argent dans leurs poches. Cette vue lui donne des sueurs froides.

« Est-ce que cet avenir est inévitable ? Si je dois en passer par là pour pouvoir nourrir mes enfants, je le ferai mais il est hors de question qu'elles connaissent plus tard le même sort. Je le jure sur ma vie. »

Avec son faible corps, elle parvient à se mettre debout et se dirige vers le bord de la Tamise, alors calme sous le Tower Bridge qui a ouvert plusieurs mois plus tôt. Mais cette structure n'inspire que du dégoût à la jeune femme. Comme si elle l'entendait, Big Ben sonne treize heures et retentit dans tout Londres. Toujours déboussolée, Théodora ne fait même plus attention au froid et desserre son châle pour prendre une grande inspiration et prononce une phrase qu'elle n'aurait jamais cru dire.

« Un miracle, je demande un miracle. »

Une brise fraîche passe sur son visage et c'est après que Théodora décide de rentrer chez elle.

Son chemin de retour est encore plus morne et sombre que d'habitude. Après y avoir réfléchi, elle a décidé de ne rien dire à ses filles.

« Nous sommes déjà dans la misère, je ne ruinerai pas leurs espoirs d'un avenir radieux. Même si elle le connaîtront probablement jamais, l'espoir permet de s'accrocher. »

Une larme chaude coule sur sa joue glacée.

« Mais si je n'ai plus cet espoir, comment les convaincre de continuer d'y croire ? »

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant