Chapitre 14

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– Moi de même, my lady.

– Oh ne m'appelez pas ainsi, je ne suis plus comtesse depuis bien longtemps. Appelez-moi tout simplement Oda.

– D'accord, alors appelez-moi Maynard

Devant sa réponse, Oda hausse les sourcils.

– Je suis flattée que vous continuez à appliquer les habitudes que l'on exige de votre rang mais je pense que vous avez compris que je ne suis pas un employeur conventionnel. Je vous appellerai par votre prénom, cela me semble plus...humain, dit-elle alors que sa voix venait de buter sur le dernier mot, et puis, c'est un si joli prénom.

Devant la douceur et la gentillesse dans la voix d'Oda, la jeune femme se sent moins angoissée.

– Donc si je comprends bien, reprit Oda, vous êtes là pour le poste à pourvoir.

– Oui my la...Oda.

– Que faisiez-vous avant ?

– J'étais blanchisseuse à la Black Rose Laundry, à Darkbird.

– Pourquoi ne l'êtes-vous plus ?

Le cœur de Théodora s'accélère.

« Est-ce que je dois vraiment lui dire ? Je ne veux pas qu'elle croit que je suis incompétente mais je préfère être honnête, tant pis si je n'ai pas le travail. »

– J'ai été renvoyée.

– Pourquoi, demande Oda, plus sérieusement.

« Avec la lumière de la cheminée, elle fait même un peu peur. »

– J'ai été victime d'une machination. Par jalousie, une de mes comparse a mis volontairement des tâches de myrtilles sur les draps blancs de tout le monde et dans les eaux des bassins, sauf dans le mien et j'ai porté le chapeau.

« S'il vous plaît, croyez-moi. »

– Pourquoi votre employeur ne vous a pas crû ?, demande gentiment Oda.

Après un moment d'hésitation, Théodora relève ses manches de robes devant elle qui s'est penchée pour regarder: ses bras sont couvert de plusieurs hématomes bleus et rouges que ces mégères lui ont fait la semaine dernière. Le regard d'Oda, devenu un moment sévère, se radoucit totalement et affiche une mine triste. Ne voulant pas lui cacher quoi que ce soit, Théodora préfère tout dire.

– Et aussi parce que j'en ai frappé une.

Oda la regarde dans les yeux, la pipe toujours dans sa bouche.

– Vraiment ?, dit-elle surprise, mais avec un sourire aux lèvres qui trahit son enthousiasme.

Cette réaction fait aussi sourire Théodora, qui baisse néanmoins la tête, un peu honteuse.

– Oui, c'est vrai.

Oda se met à rire joyeusement, ce qui fait un autre nuage de fumée, venant de la pipe. Un rire un peu gras mais le genre qui fait chaud au cœur. Elle se repose de nouveau sur le dossier de son fauteuil en la regardant.

– Bien joué. Vous avez du courage et mais vu vos habits, je dois être encore bien loin du compte.

Quand elle voit ses propres vêtements, Théodora se sent très mal à l'aise.

« J'ai l'air d'une pouilleuse. Je ne suis pas à ma place ici. »

– Je vis à Penniless Street avec mes trois filles.

Le visage d'Oda s'adoucit encore et sourit.

– Comment s'appellent-t-elles ?

– Elizabeth, Anne et Victoria. Elles ont quinze, neuf et huit ans.

– Je suis sûre qu'elles sont adorables. Et vous êtes seule depuis que vous êtes veuve ?

Le sourire de Théodora s'évanouit tout de suite.

– Comment le savez-vous ?, demande-t-elle interloquée.

Oda paraît d'un seul coup gênée et se ressaisit.

– Oh veuillez excusez ma spontanéité! Je n'ai pas tendance à garder ma langue dans ma poche. En réalité, vous me semblez bien trop sérieuse pour être une mauvaise fille.

La jeune veuve se détend et émet un petit rire. Elle a raison.

– Pour cela, il faudrait d'abord que vous m'embauchiez.

– C'est le cas, je vous engage.

« Quoi ? »

– Vous êtes sérieuse ?

– Très sérieuse, répond Oda qui se lève de son fauteuil sans aucune difficultés, vous êtes quelqu'un de bien et de serviable et en voyant l'état de vos mains, je comprends que vous êtes une laborieuse et que vous n'avez pas peur de travailler. Quand vous êtes venue m'aider à m'asseoir, vous n'avez pas hésiter une seule seconde. Vous vous soucier de votre prochain et cela ne se retrouve pas chez tout le monde.

Théodora est prise de court.

– Mais alors tout à l'heure, c'était un test ?

– Exactement et croyez-moi sur parole, il y a certaines personnes qui ne seraient jamais venus m'aider.

La jeune veuve sourit.

– En réalité, vous n'avez pas mal au dos n'est-ce pas ?

– Pas le moins du monde, je tiens encore très bien debout.

Elle la surplombe de toute sa hauteur et lui tends la main, Elle est plus grande qu'elle le pensait.

– Moi Oda Doridge, je vous promets qu'à mon service, vous n'aurez jamais à subir la honte, la peur et la douleur. Je vous promets respect, bienveillance et confiance. Je le jure, sur mon honneur. Acceptez-vous ce travail ?

Pour une des premières fois de sa vie, Théodora n'a pas peur. Bien au contraire. Elle se relève aussi et après un moment d'hésitation, elle lui serre la main.

« Même si elle est différente de ce que je m'attendais, je sens que je peux lui faire confiance. J'espère ne pas avoir commis une erreur. Je ne peux pas me le permettre, mes filles comptent sur moi. »

– Moi Théodora Maynard, je vous promets ponctualité, assiduité et gentillesse. Vous ne m'aurez jamais rien à me reprocher, je le jure sur ce que j'ai de plus cher.

Oda lui offre un grand sourire chaleureux et hoche la tête en lui serrant une nouvelle fois la main.

– Bienvenue à Bluewaffle House, Théodora.

– Merci... Oda.

Le sourire de sa nouvelle employeuse se fait plus grand, montrant toutes ses dents blanches. Bien plus agréables à regarder que les bouches cariées des marins infortunés ou les dents cassées des passantes.

– Avez-vous des questions ?

Son regard s'attarde de nouveau sur la marmite où l'odeur de caramel fait gargouiller son ventre.

« Non, je ne vais tout de même demander ça. Cela ne se fait pas. »

– Vous voulez y goûter ?, demande Oda.

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant