Chapitre 22

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L'entendre prononcer ces mots bouleverse la jeune femme mais elle n'en laisse rien paraître. Après tout, cet homme, aussi charmant soit-il, est peut-être un clandestin, ou pire un criminel. Et puis, Oda, elle ne lui en a pas parlé pour le moins du monde, encore moins Danielle. Sa fascination se mue alors en méfiance, malgré la beauté presque divine de cet inconnu.

_ Ne vous inquiétez pas, je ne vous ferais pas de mal, dit-il, avec toujours son magnifique sourire. Mais le ton doux de sa voix détend un peu les épaules de la nouvelle employée.

_ Comment connaissez-vous mon prénom ?

_ Je suis un sorcier, je lis dans les pensées.

Théodora ouvre grand ses yeux et l'inconnu se met à rire doucement.

_ Je plaisante, évidemment, dit-il en reprenant un ton plus sérieux, j'ai entendu ma mère et ma nièce le dire et le crier depuis quatre jours.

_ Votre mère ? Votre nièce ?, demande Théodora soupçonneuse.

_ Oui, l'ancienne comtesse Oda Doridge et Danielle Doridge.

Les doutes de la jeune femme s'amplifient.

_ Je ne suis à leur service que depuis trois jours, et malgré tout, nous discutons beaucoup.

_ Et alors ?, dit-il avec un air malicieux.

_ Elles ne m'ont jamais parlé de vous, pas une seule fois, répond-elle plus froidement qu'elle pensait le faire.

L'air malicieux disparaît alors de son visage pour laisser place à une mine presque abattue.

_ Je vois, je comprends. Ma mère n'aime pas parler de mon existence ici à n'importe qui.

_ Pourquoi donc, demande Théodora en s'approchant près de lui. Mais celui-ci recule vivement, comme pour éviter de la toucher. Il semble même un peu paniqué. Elle recule et semble se détendre, mais il est toujours un préoccupé.

_ Et bien... C'est à cause de...je suis..., dit-il cherchant ses mots.

_ Oui ?, attendant une réponse.

Mais celle-ci ne vient pas et Théodora commence à s'impatienter et se montre de plus en plus méfiante vis-à-vis de cet homme, pas vraiment crédible.

_ Bon, si vous me dites rien, je vais en informer Oda, lui dit-elle à bout de patience, je ne pense pas que vous soyez...

_ Malade...dit-il en soupirant, vaincu.

_ Ah, cela c'est certain, vous êtes un grand malade, dit-elle en se retournant pour repartir.

_ Non, non, je vous en prie, dit-il précipitamment en cherchant à la rattraper sans pour autant la toucher.

Théodora s'arrête dans son élan.

_ Je suis malade. Vraiment malade.

La jeune femme se retourne pour voir le visage triste et mélancolique qu'elle a vu il y a trois jours. Cette tristesse qui l'a tant touché. Son humeur s'adoucit.

_ De quoi souffrez-vous ?

La tête de l'homme se relève pour la regarder dans les yeux. Le cyan de ses iris entrent en collision avec le noir des siennes. Elle voit bien, que même s'il n'en montre rien, sa question lui fait plaisir.

« On a pas dû lui poser beaucoup de fois cette question. »

_ Une maladie grave, aux poumons. D'après ma mère, je ne verrais pas venir la prochaine année.

Instantanément, le cœur de Théodora, qui était avant de glace, se mit à fondre. Elle ne peut retenir son humeur triste et baisse la tête.

_ Je suis vraiment désolé, je l'ignorais. Vous ne vous faites pas soigner par un médecin ?

_ Ne vous en veuillez pas, peu de personnes le savent. De toute façon, ma mère n'a pas un grand cercle d'amis et le dernier médecin que nous avons consulté est arrivée à la même conclusion qu'elle.

Voyant qu'il veut éviter le sujet, la jeune femme va dans son sens.

_ Vraiment ?, demande-t-elle, faussement surprise.

Le visage de son interlocuteur affiche de nouveau un léger sourire, mais bien visible.

_ Oui, avant même d'être déchue de son titre de comtesse de Broomvalley, ma mère était déjà de nature solitaire et les autres nobles se méfiaient d'elle.

_ Pourquoi cela, demande Théodora surprise, c'est une des femmes les plus généreuses que j'ai jamais connue.

_ C'est justement sa générosité qui lui fit tord. Une noble de haut rang donnant nourriture et argent à ceux qui en ont le plus besoin, pour les autres c'est inconvenable et inutile. Il ne cessait de lui répéter « Un riche est fait pour avoir de l'argent, un manant est fait pour avoir de la boue ». La plupart des opinons allaient dans ce sens et les rares en accord avec elle ne le montrait jamais en public. Cela l'a beaucoup blessée.

_ Heureusement qu'elle ne partage pas leur opinion.

_ Oui c'est une chance d'avoir une mère avec ce genre de pensées. Je trouve cela injuste que personne lui a vraiment rendu la pareille, elle méritait mieux.

_ Non.

Sa remarque semble surprendre l'homme qui fronce les sourcils.

_ Elle mérite le meilleur, continue Théodora.

Le bel homme recommence à sourire avant de lever les yeux au ciel.

_ Oh mon dieu, je manque à tous mes devoirs ! Voulez-vous demander vous asseoir ?

Il lui désigne le tabouret de piano et elle lui adresse un regard gênée. Cela le préoccupe davantage.

_ Je suis désolé, c'est vrai que ce n'est pas très convenable pour une dame...

_ Oh non, non, je suis bien loin d'être une dame! Ce n'est pas cela le problème, au contraire, il est magnifique par rapport à ce que j'ai chez moi.

_ Que se passe-t-il alors, demande-t-il, visiblement inquiet.

Théodora baisse la tête, honteuse.

_ C'est juste qu'aucun homme n'a été aussi gentil avec moi depuis longtemps. Et puis au vu de ma condition...

_ Théodora, dehors, on vous juge pour le nombre de pièces que vous avez, mais pas ici. Je peux vous jurer que vous n'aurez jamais à souffrir de ce mal-être. Et ce n'est pas parce que vous n'avez pas d'argent que vous ne méritez pas le respect.

Il a l'air si sincère, comment ne pas le croire ? En tout cas, la jeune femme relève la tête vers lui, qui lui désigne toujours la chaise et elle s'assoit finalement sur le tabouret de piano. Malgré qu'il soit déchiré, il est encore très moelleux. Le fils de la comtesse s'éloigne alors d'avantage et est à présent devant elle, il s'appuie sur une petite table avec un objet dessus que la jeune femme ne parvient à identifier.

« Il ne veut vraiment aucun contact. Son malaise par rapport à sa maladie doit être très profond. »

_ Merci beaucoup.

_ Je vous en prie, lui dit-il en souriant, je suis un gentleman et pour moi, toutes les femmes sont des dames qu'elles portent des robes ou des tabliers.

Sa dernière phrase fait rougir Théodora, qui tourne la tête sur le coté pour ne pas qu'il la voit ainsi. C'est lui finalement qui reprends la parole.

_ J'ai une question, quand est-ce qu'on est ?


La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant