Chapitre 12

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Marchant sur les pavés propres des quartiers au nord de Londres, Théodora sent son coeur s'accélérer à chacun de ses pas. Pas seulement à cause de l'entretien mais c'est son apparence qui la préoccupe: même si les filles lui ont fait un chignon avec ses longs cheveux bruns avec un fil pour les tenir avec quelques épingles tordues d'Anne et que Victoria et Elizabeth ont essayé de recoudre sa longue robe marron, elle ne peut s'empêcher de se sentir, négligée. Les gens qui passent à coté d'elle lui lancent des regards méprisants; en même temps ce n'est pas étonnant, ceux-ci portent des redingotes de qualité supérieure et des manteaux capés, des chemises aussi blanches que la neige, qui a malheureusement fondue durant la nuit, et les femmes de la hautes société sont vêtues de robes à plusieurs jupons et de grands chapeaux à plumes. Mais Théodora est habituée à ses regards, elle sait qu'elle n'est pas une grande beauté, encore moins avec ses habits de la rue. L'annonce du journal entre ses mains, elle avance.

Là où elle marche, les pavés gris sont parfaitement clairs malgré un léger brouillard qui s'est levé ce soir, Théodora est seulement éclairée par les lampadaires. Une certaine humidité emplit l'air et l'atmosphère est assez lourd. En comparaison avec la veille, on a l'impression d'avoir changé de pays. Seules les gouttes de la neige de la veille accompagnées de la rosée de ce matin peut laisser croire que la veille, le temps était différent. Les grilles noires et piquées des maisons ressemblent à des armes de guerres. Les habitations, elles, sont plus simplistes que Théodora le pensait. Un simple marron clair avec les briques rouges, des maisons serrées les unes à cotés des autres comme dans son quartier avec cette fois-ci, un jardin minuscule à chacune d'elle en guise d'entrée.

Mais ce qui attire plus l'intention de la jeune mère, c'est ce brouillard opaque qui dissimule à sa vue le fond de celle-ci. D'après la carte qu'elle a consultée, Sleeping Willows Street se trouve à cet endroit, mais en réalité, il ne semble y avoir rien. L'allée où elle se trouve, James V Avenue a l'air de littéralement disparaître dans ce fog. Se posant trop de questions, Théodora s'arrête.

« Est-ce vraiment de ce coté ? Je me suis peut-être trompée. Non, non, je suis sûre que c'est par là et puis après tout, qu'y-a-t-il de dangereux à traverser un brouillard, si étrange soit-il ? »

Voyant qu'il n'y a personne, elle se met néanmoins sur le trottoir et s'avance avec prudence vers le brouillard, qui semble se rapprocher d'elle. Bientôt, il va l'envelopper de ce manteau intangible. Mais elle est méfiante, pas apeurée. Elle prends une profonde inspiration puis expire.

« Bon, allons-y. »

Lentement, elle s'enfonce dans le brouillard et quand elle regarde derrière elle, James V Avenue a totalement été effacée. En face, Théodora ne voit rien non plus, mais sans qu'elle l'explique, ses pieds recommencent à avancer machinalement tout droit, comme si elle savait où elle va. Seul la lueur des lampadaires qu'elle voit à sa gauche l'éclaire et lui montre le chemin. Même les pavés sont floutés par le brouillard. Après avoir marché durant cinq minutes, les lampadaires laissent place à de grands saules pleureurs qui ont aux pieds, une vieille lanterne qui éclaire le chemin d'une lumière diffuse et chaude. Mais elle n'est pas ordinaire. N'importe quelle autre lumière venant d'un lampadaire ou d'une lanterne d'un veilleur de nuit, ne lui ferait ni chaud ni froid.

Cependant, CETTE lumière semble...l'appeler, l'encourager à poursuivre son chemin. Comme pour lui assurer qu'elle est en sécurité. Alors qu'elle s'en approche par curiosité, les rayons viennent caresser ses bras d'une étreinte invisible, comme si la lumière lui soufflait des mots rassurants. La promesse silencieuse d'une clarté sans voix. Cette sensation ne la quitte pas lorsqu'elle reprends son chemin mais il a l'air sans fin, aucune grande maison à l'horizon.

« C'est vraiment étrange, je ne vois rien et le brouillard ne se dissipe pas. Il y a quelque chose d'anorm... »

Elle n'a même pas le temps de finir sa phrase que des grilles noires semblables à celles qu'elle a vu auparavant apparaissent. Au fur et à mesure qu'elle avance, les pavés se font de plus en plus précis et un jardin se matérialise derrière les grilles. Et enfin, Bluewaffle House apparaît à son tour: une grande bâtisse isolée au toit turquoise, les fenêtres sont éclairées d'une lumière dorée, le jardin n'est pas grand mais sur le coté gauche de ce qu'elle voit, un grand saule pleureur cache une partie de la maison et la porte principale est de couleur mauve.

Théodora arrive devant le portail, qui s'élève à la hauteur de ses genoux. Un B et un H sont formés par le métal. Elle l'ouvre délicatement, toujours hésitante. Un fort grincement se fait entendre quand elle entre. La maison est bien plus grande qu'elle le voyait. Des pas japonais se dirigent jusqu'à la porte et elle les suit en regardant les alentours. Derrière les grilles, le brouillard est toujours présent, isolant Bluewaffle House au milieu de nulle-part, sans possibilité de distinguer les alentours, comme coupé hors du temps. Seulement le brouillard. Les petites parcelles d'herbes sont nues à première vue mais elle parvient à voir un table et deux chaises sous le saule, éclairés d'une lanterne. Deux autres se situent en haut de la porte et quand elle s'approche, elle peut voir des dessins de fleurs de jasmins.

Elle regarde une dernière fois dans son dos puis se retourne vers la porte, qui possède un heurtoir cuivré en forme de rose épineuse.

« Magnifiquement détaillé. »

Enfin, elle prends une profonde inspiration et pose sa main sur l'heurtoir.

« Pour mes filles. Allons-y. »

Elle le frappe contre la porte et attends la réponse.

– Entrez, je vous prie, dit une voix rauque et féminine derrière.

Elle prends une dernière inspiration et fait ce qu'on lui dit.

Théodora entre.

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant