Chapitre 10

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Théodora déteste entendre sa fille poser cette question, car pour elle-même, la réponse manque de précisions.

– Je trouverai un autre travail ma chérie, mais je ne sais pas quand, répond-t-elle en perdant son sourire.

Elizabeth hoche la tête mais elle voit l'angoisse dans le regard de sa mère. Elle resserre son bras autour du sien.

– Sache que peu importe ta décision, je t'aiderai.

– Je sais, mais tu en fait déjà tellement en prenant soin de tes sœurs. Je sais que tu veux travailler aussi pour m'aider mais ce n'est pas à toi de prendre soin de moi, c'est moi qui doit prendre soin de vous.

– Il n'y a pas de honte à avoir besoin d'aide, Maman. On en a toujours besoin dans la vie et il ne faut pas la rejeter.

Théodora sent les larmes monter aux yeux.

– Ton père serait si fier de toi, ma chérie, de toi et de tes sœurs. Vous êtes toutes merveilleuses.

– Ça c'est parce qu'on a une mère formidable.

Celle-ci étreint sa fille, qui ne tarde pas à lui rendre le câlin, puis elles reprennent leur chemin. Au bout d'un quart d'heure, elles voient un banc de couleur blanche vide. Il est fait de métal et adopte des formes rondes et en spirales, qui le font tout droit sortir du Pays des Merveilles.

« Un des livres préférés d'Elizabeth. »

Quand elles vivaient encore dans leur maison avec Ronald en dehors du centre-ville de Londres, elle l'avait étudié à l'école et s'était immédiatement prise d'affection pour son héroïne trop curieuse et fantasque. Elle avait même demandé à leur père de lui acheter un haut de forme, semblable à celui du Chapelier Fou et malgré la réticence du chapelier à vendre un couvre-chef neuf de ce genre pour une fille, Ronald a pu alors en négocier un usé mais la petite Elizabeth était aux anges et s'est affairée elle-même à sa propre décoration. Couvert de fleurs, de rubans et recousu, on n'en oubliait presque son état d'origine. Malheureusement après sa mort, elles ont dû quitter leur maison, le chapeau fut perdu durant le voyage et elle en a été inconsolable pendant des semaines; de plus, elle dû rendre le livre à la bibliothèque et n'avait déjà pas assez d'argent pour pouvoir acheter son propre exemplaire. Théodora sait que c'est en particulier ces beaux exemplaires qu'elle a remarqué la veille.

« Si seulement je pouvais les lui offrir en cadeaux de Noël. »

Les deux filles s'assoient sur le banc glacial et resserrent leurs châles. Elles voient de loin Anne et Victoria en train de jouer au loup avec Teddy, un garçon aux cheveux châtains d'une dizaine d'années avec une casquette de ramoneur et une veste brune déchiré, comme son pantalon d'ailleurs. Bebert est âgé de deux ans son aîné, des cheveux de jais en bataille et un pantalon retenu par des bretelles noires très usées. Ses joues bouffies sont teintés de rouge à cause du froid.

Tout d'un coup, une ombre passe devant Elizabeth et Théodora, qui sent un objet petit mais lourd atterrir sur ses genoux. Quand elle prends dans ses mains, elle écarquille les yeux.

« Une pièce. C'est une pièce d'un penny »

Quand elles regardent leur donateur, celui-ci est entièrement vêtu de noir, mais ce qui attire l'intention des jeunes femmes c'est son haut-de-forme en rayures noires et blanches qui tranche franchement avec son costume noir. L'homme leur tourne le dos et ne retourne pas. Les deux femmes se regardent, complètement interloquées.

« Il a dû nous prendre pour des mendiantes. »

Alors qu'elles n'osent encore rien dire, un vendeur des journaux arrive à leur cotés.

– Le journal, le journal ! Demandez le journal du jour, seulement un penny !

– Maman..., dit Elizabeth, les yeux grands ouverts.

– Ma chérie..., réplique Théodora.

– Je crois que...tu dois...acheter ce journal, dit-elle en reprenant son esprit, on ne sait jamais, il y aura peut-être une annonce pour un travail.

Théodora réfléchit.

– Ma chérie, tu en est sûre ? Il pourrait peut-être servir à autre chose.

– Oui Maman, vas-y.

Elle hoche la tête, se lève du banc et se dirige vers le vendeur de journaux. Celui-ci le tends le journal et s'en va avec le penny. Théodora en profite pour sentir la sensation du papier entre ses mains avant de revenir s'asseoir au près de sa fille. Elle regarde la date sur le journal: London Daily Post, dimanche 18 Novembre 1894. Rapidement, elle commence à écumer les pages mais au bout de deux minutes, aucune annonce n'est présente. Théodora perd peu à peu courage malgré les encouragements d'Elizabeth.

Elle ouvre la troisième page du journal, n°5, pour la deuxième fois et remarque un espace blanc dans le coin droit en bas de celle-ci. Elle soupire et relis le journal une troisième fois, sans grande conviction.

Mais cette fois-ci, en revenant sur la page n°5, l'espace blanc a disparu pour laisser place à ce texte:

Oda Doridge, comtesse de Broomvalley

recherche une domestique

pour le ménage.

150 shilling par semaine

Rendez-vous pour un entretien

à Bluewaffle House

au n°55 Sleeping Willows Street

P.S.: Venez le soir à 19h

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant