Chapitre 8

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Quand elle arrive chez elle, Anne se mire dans un morceau de verre tandis qu'Elizabeth et Victoria font ce qu'elles peuvent pour essayer de recoudre leurs habits. Ce genre de scènes rares, Théodora adore les admirer. Elle est si perdue dans ses pensées qu'elle n'entends pas la voix de l'aînée. Dans ce genre de moments, l'appartement est toujours baigné de silence, ce qui repose un peu les oreilles de la jeune mère, habitués au brouhaha quotidien des bas-fonds de Londres.

– Maman ? Comment se fait-il que tu es rentrée à cette heure-ci ?

Théodora ne répond pas et prends sa grande fille dans ses bras en la serrant le plus fort qu'elle peut. Elizabeth ne tarde pas à lui rendre l'accolade.

– Ça va, Maman ?

La jeune mère resserre davantage son étreinte. Quand sa fille pose sa tête sur son épaule, elle comprends qu'elle a compris.

– Je te promets que ça ira, ma chérie, je te le promets.

– Je sais, Maman.

Elizabeth appuie d'avantage sa tête sur elle et ferme les yeux, savourant ce moment douceur. Même si elle ne voit pas visage, la jeune mère devine qu'elle essaye de retenir ses larmes.

– Je te crois.

Ses mots apaisent l'âme et le cœur de Théodora et les regards doux et attentifs d'Anne et de Victoria confirme sa pensée. Elle a réussi à leur faire croire à l'espoir. Après un moment de silence, c'est Anne qui reprends la parole.

– Tu sais ce à quoi je pensais, Maman ?

Elle desserre ses bras autour de sa fille et regarde tendrement sa cadette, avec un doux et triste sourire.

– Tu pensais à quoi ma chérie ?

– Quand je serais grande, j'aurais un château avec de l'or jusqu'au plafond et des robes par milliers.

– Avec des bijoux aussi je suppose, dit Elizabeth, qui s'assoit aux cotés de sa mère sur le matelas.

– Bien sûr, faits d'or et de diamants !

Des rires et des sourires fusent des trois autres jeunes femmes.

– Quand je serais grande, je me marierai avec un prince beau et riche et j'aurais un plus grand château qu'Anne.

Celle-ci ne se gène pas pour faire la grimace.

–Évidemment ma chérie, je te crois. Et toi, ma grande, en se tournant vers Elizabeth, que voudrais-tu faire plus tard ?

En voyant les larmes sèches sur les joues de sa mère, le jeune fille parut hésiter mais son sourire lui permet de répondre.

– J'adorerais avoir une grande famille et une belle maison, pas besoin d'un château.

Le sourire de Théodora s'élargit.

– Un manoir me suffirait largement.

Tout le monde éclate de rire, un bruit peu commun aux oreilles de la jeune mère.

Le reste de la journée, elles ont passé le temps à l'intérieur en train de rire et de se raconter des souvenirs et le soir venu, elles sont de sorties car Victoria voulait voir les décorations de Noël qui terminent leurs installations. Pour la première fois depuis des années, Théodora quitte les quartiers de Darkbird, elle remonte jusqu'aux carrefour de Despair Road et Overwhelmed Avenue pour prendre le troisième chemin, celui de Wishes Street, le quartier n'est pas le plus riche mais les pavés sont plus propres, les maisons plus blanches et la route moins sale. Victoria n'est pas déçue: les décorations semblent tout droit sortir d'un conte de fée, les arbres tordus sont parés de guirlandes multicolores, les toits des habitations brillent de dorures lumineuses et les magasins des environs montrent dans leurs vitrines des plus succulentes pâtisseries, des plus beaux jouets et des plus belles tenues. Une odeur de chocolat sucré et enfantine remplit les narines de la famille qui ne peut s'empêcher de l'humer.

Théodora sait qu'elle ne pourra jamais leur offrir toutes ses merveilles mais voir ses sourires radieux éclairant leurs visages tout sales vaut toutes les peines du monde.

– Oh regarde, Maman, cette poupée ! Quand j'aurais de l'argent, je voudrais la même !

Sa mère se penche au-dessus de l'épaule de Victoria pour regarder la vitrine de Golden Toys's Walker. Une lumière chaude éclaire une belle poupée en porcelaine, au teint blanc comme la neige, aux cheveux blonds cendrés avec un visage d'ange et des mains minuscules mais adorables. Mais ce qui frappe Théodora, c'est sa longue et magnifique robe drapée affriolante en rayures mauves et blanches, assortie au chapeau du même motif. Elle ne peut que sourire et hocher la tête.

– Elle est vraiment très belle !

Alors qu'elle admire le regard pétillant de sa fille, Anne l'appelle au loin, collée elle aussi à une autre vitrine, de bijoux visiblement. Oui c'est celle Diamonds's Duchess, connue pour faire les bijoux les plus minimalistes avec des diamants énormes. Elizabeth tient la main de sa sœur et regarde sa mère, désespérée. Théodora et Victoria viennent rejoindre les autres filles et admirant la vitrine, elles comprennent immédiatement ce qui a attiré l'attention d'Anne: un buste mannequin porte un grand collier orné d'un pendentif en forme d'énorme flocon fait d'une vingtaine de diamants.

– Plus tard, il sera à moi, dit Anne avec conviction.

– Je te le souhaite ma chérie, répond sa mère avec tendresse.

Ensuite, c'est Elizabeth qui s'est écartée du groupe pour aller rejoindre la vitrine d'une très belle librairie, la Treasures's Cellar. Quand Théodora et ses filles la rejoignent, l'aînée a les yeux fixés sur une grande pile de cinq livres aux couvertures brodées finement, et pas n'importe lesquels: La Légende de Sleepy Hollow de Washington Irving, Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles et de l'Autre Coté du Miroir de Lewis Carroll, Frankenstein de Mary Shelley et les Contes des Frères Grimm.

– Un jour, je les lirais tous, dit Elizabeth.

– Oui, ma chérie, je te dis oui, réplique Théodora en passant le bras sur les épaules de sa fille et l'embrasse tendrement sur le tempe, je te dis oui.

La famille reste plus d'une demi-heure dans le quartier avant que Big Ben ne sonne vingt heures. Elles décident alors de rentrer et le retour à Penniless Road est plus dur que Théodora ne l'avait pensée. Les lumières multicolores s'estompent pour faire place à l'obscurité et l'odeur de l'alcool et de la cigarette remplace celle du chocolat. Une fois rentrée chez elle, les filles ne tardent pas à aller se coucher. Elizabeth s'allonge près d'elles et avant de s'endormir, admire le cadran de Big Ben, une nouvelle fois éclairé par la Lune. Théodora fait de même et alors que ses enfants s'endorment, s'agenouille devant la fenêtre en entremêlant ses poings et ferme ses yeux.

« Faites en sorte que je puisse offrir un avenir meilleur pour mes filles, elles le méritent. Elles sont si fortes, je sais qu'elles sont capables d'affronter ce monde et d'en tirer les meilleures choses. Même si je ne serais peut-être pas là pour les voir, je veux m'assurer que le destin ne leur fera pas de faux pas et qu'elles puissent voir les merveilles du monde que je ne verrais jamais. »

Théodora rouvre les yeux, humides de larmes.

« C'est mon vœu le plus cher. »

Elle se recouche auprès de ses filles et s'endort pour la première fois, avec une lueur d'espoir.

La Veuve et le Pianiste Tome 1, Bluewaffle HouseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant