Trente-et-un

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Face au soleil de ce début de journée, je manque de peu d'imposer à ma tête une rencontre avec le sol. La marche du bus n'a pas changé de position, pourtant j'ai eu l'honneur de ne pas la prendre comme tout le monde. Ma semelle glisse sur deux, trois centimètres avant que je ne me rattrape à la paroi du bus.

Bon j'évite l'affiche matinale devant un bon nombre d'adolescents prêt à se moquer d'une situation embarrassante. Seulement, je n'évite pas toutes les absurdités qui planent au-dessus de ma tête. Sans m'en toucher un mot, Ulys viens entourer ma taille de ses bras. Je pensais que nous avions mis les points sur les i et les barres sur les t hier soir.

Il a bu du lait périmé ce matin ? Et puis faire cela en public. J'espère qu'il est rentré directement après être descendu du bus et que grâce à ça, il évite ce geste désapproprié.

— Qu'est ce qui te prends, je le repousse gentiment ?

— J'essaie de voir si ton soi-disant mec étudie ici. Tu n'es pas près de me dire qui ça peut être, alors autant chercher moi-même. S'il garde ne serait qu'un demi oeil sur toi, il va sûrement finir par venir voir pourquoi tu t'amuses avec ton ex.

— Parce que l'on s'amuse toi et moi ?

— Pas de la manière dont je voudrais mais oui. J'arrive à te faire rire et c'est le principal. Enfin bon, aucune réaction aux alentours, on peut bouger. On auras qu'à retenter l'expérience à un autre moment de la journée.

Il n'est pas croyable, et pas parce qu'il m'entraine vers la grille en me tenant la main comme si c'était normal. Non plus parce que quand je me détache de lui, il en rit plutôt que de se vexer. Dans ces moments, je pourrai regretter de m'être séparé de lui mais je me souviens que dès qu'il m'aura prise pour acquis il arrêtera les efforts et repartira dans ses travers. C'est vraiment dommage car il reste tout de même un garçon...Mes pensées sont coupées vivement. Un grand gaillard se jette devant nous avant que nous ne fassions un pas supplémentaire.

— Pourquoi tu forces comme ça. Tu ne vois pas qu'elle ne veut pas être avec toi. Si elle te repousse, ça devrait te paraître claire non ?!

— C'était purement amicale, je me justifie sans raison.

Après tout, ce n'est pas à moi qu'il a pris la peine de s'adresser. Pourtant je suis censée être la dit victime. C'est comme si on donne un droit de parole primaire au voleur de bijoux pour expliquer son geste et qu'on laisse de côté le vendeur qui vient de se faire cambrioler.

— Oh ! Tu tires dans mon coeur Ella. Je nous pensais redevenu plus que ça. Qu'est ce qui te prends, tu devrais te détendre mec. Elle se porte très bien, regarde, elle a un sourire de clown qui ne la lâche pas depuis hier. 

Néanmoins on est les deux seuls à rire de la fausse flèche venue se planter près de ses poumons et de son allusion catastrophique à ma joie de vivre matinale. Casey, devant nous, est plus tendu que ma mère quand elle me voit cacher de la nourriture dans mes poches pour aller à l'étage. La situation l'énerve. Sauf que je ne peux rien y faire et lui encore moins. Il a choisi Cassidy, ce que je comprends amplement, alors il ne peut pas me reprocher le fait de reparler à Ulys. Je ne réponds pas à ses avances et je n'en fais pas non plus, j'ai été claire à ce sujet avec lui. Alors, je ne trouve rien à me reprocher. On ne peut tout avoir dans la vie. Dans le cas présent, soit tu prends la soeur, soit tu prends la meilleure amie mais pas les deux.

— Quelque chose ne va pas ici ?

Penser à elle et elle se ramènera. Voldemort et les mangemorts vous êtes priés de quitter ce corps. Main dans la main, tel deux petites filles sautillant dans un champ de pissenlit, ma meilleure amie et son autre énergumène ambulant se rajoutent au groupe. Il ne manque plus que Sidney et Joe. Il est possible qu'ils soient déjà rentrés, ça ne va pas tarder à sonner le début des cours. Quoi qu'il en soit, cela n'explique pas son arrivée à elle et encore moins à l'autre. Elle n'étudie pas ici. Hier, Cassidy crachait son venin avec détermination. Aujourd'hui, elle se faufile comme si rien n'était arrivé. Non mais sortez les caméras.

— Je fais juste attention que tout aille bien pour Ornella. Tout comme je le ferais avec ma soeur. Protection fraternelle tout simplement, mais il faut croire que je me suis trompé.

Mais bien sûre. Tu ne me la fais pas à moi. Ce faux costume de super-héros que tu endosse ne te vas pas. C'est ta jalousie qui parle. Pour tout l'or du monde, j'aurai voulu que devant eux tu dises que c'est faux. Que tu t'es rapproché car la vision de ta copine avec son ex te dérange. Cela en devient ridicule et fatiguant. Tu as raison de t'en aller.

— Bébé ? Viens, on n'avait pas fini de discuter. Elle n'est pas en danger comme tu le vois, laisse-la.

On dit que les yeux seuls peuvent communiquer. Ceux de Cass doivent utiliser le mime car je ne comprends pas ce qu'elle essaie de me faire passer. Les sourcils froncés, un peu tracassée, elle semble vouloir dire quelque chose. Je ne suis pas experte pour décrypter ce genre de langage invisible à l'oeil, et pour l'avoir expérimenté durant des mois, je sais que c'est peine perdue. Finalement, elle se ravise. La seconde d'après elles s'écartent de plusieurs mètres.

La demie journée se passe sans plus de tracas. Le prof de mathématiques a trouvé judicieux de me prendre à part pour me demander de me ressaisir niveau assiduité car je cite - les notes ne font pas tout Ornella. Il a aussi mentionné que changer de binôme avait été productif ce matin. Que voulez-vous, j'ai passé l'heure à aider mon voisin pour comprendre les exercices. Je pense que je me porterai volontaire après le jour de l'an pour animer le groupe de soutien.

Un des bienfaits de la dernière année. Au retour des vacances, l'école offre la possibilité à des étudiants de diriger des groupes de travail dans chaque matière afin d'aider leurs camarades pour les examens à venir. Aux vues de ma facilité dans cette matière, je pourrais me permettre de donner mon nom. Financièrement, je n'en tire aucun bénéfice c'est clair mais ça fait tellement du bien de voir les autres y arriver eux aussi. Sans compter l'égo qui augmente. Ils sont eux-mêmes parfois choqués de leurs prouesses. Tout est dans l'utilisation des mots et des exemples pour se faire comprendre.

Quoi qu'il en soit, je suis bien contente que les options ne demandent pas un groupe de soutien. Le cours de Monsieur Dovo, où je me trouve actuellement, est à lui seul une épreuve. Alors si en plus il fallait y additionner deux heures par semaines...commençons à feuilleter le magazine des cercueils. A moins que je demande à me faire incinérer puis qu'on me déverse dans la nature. C'est à réfléchir.

— Nous allons pouvoir poursuivre le devoir de la dernière fois. Remettez-vous devant un écran et n'oubliez pas que ce devoir est à placer dans le dossier partagé à la fin de l'heure. Je ne m'embêterai pas à chercher ceux qui manquent au moment de la correction.

Monsieur Dovo est, allé savoir pour quelle excuse, absent en ce jour. L'école est néanmoins paré à ce genre de problème. C'est ce qu'en témoigne l'utilisation du boîtier noir, alias boîte de Pandore, au milieu de la salle. La vision holographique de Monsieur Dovo allongé dans son lit nous fait signe de débarrasser le plancher pour nous mettre au travail. Nous n'attendons pas qu'il réitère pour s'exécuter. D'ailleurs je n'ai pas besoin de l'image mentale de mon prof en train de grignoter des sandwichs en pleine après-midi...

J'avais pris un bon coup d'avance en répertoriant toutes les inventions avec leur date de création. Il ne me reste plus qu'à les replacer sur ma frise et chercher une photo pour chacune.

Je me mets devant le même ordinateur. Je m'attends à ce que Casey rejoigne celui juste à côté, sauf qu'il part s'installer avec plus de distance. Je n'y comprends rien. Ce qu'il a dit ce matin et ses actions sont contradictoires. La logique veut que si tu t'inquiètes pour une personne, tu peux très bien partager un même espace vital, être proche de cette personne. Ce n'est pas ce pseudo malentendu qui l'en empêche. Non ? Je croyais que ça allait mieux puisqu'il s'est assis à côté de moi suite à notre entrée en classe. Le nombre limité de chaises et tables peut expliquer cette action. Il n'avait pas vraiment le choix.

Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant