Dix-sept

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— Gardez-moi une place, je vais voir où en est l'autre glandue.

J'agrippe les sangles de mon sac, et fais demi-tour. Laissant dans la file d'attente de la cantine Joe, Cassidy et Sidney en pleine discussion. Il y a encore quelques secondes on débattait sur la fête de samedi prochain. Finalement, Joe n'est pas sûre de venir car ses parents veulent restreindre ses sorties.

Il n'est cependant pas envisageable de participer à ce regroupement sans notre bande au complet. C'est comme servir une île flottante sans la crème anglaise. Tu vois qu'il manque une chose, tu sens que ce n'est pas pareil, du coup il n'y a pas de goût, pas de saveur. Je serais même prête à le faire monter par la fenêtre de sa chambre s'il fallait en arriver jusque-là. Malheureusement, il a sûrement dû lire dans mes pensées car il m'a interdit de m'en mêler avant que je ne propose l'idée.

Mes amis savent que je peux me plier en quatre pour eux. Confronter leurs parents est ma plus grande spécialité d'ailleurs. Le nombre de fois où j'ai pu venir débattre avec chacun, pour les convaincre, ne se compte plus sur les doigts de toutes nos mains réunis. C'est sûrement pour cela qu'il refuse mon aide avant même que je la propose.

— Prenez pas trop de temps non plus.

Je lève le pouce en l'air tout en marchant. Entendu capitaine !

Casey m'attend vers le bâtiment des sciences. Évidemment, nos amis ne le savent pas. Pour eux, je suis juste partie voir pourquoi il prend autant de temps à venir alors que son cours est fini, puis le ramener au réfectoire. La réalité est tout autre. Il m'a envoyé un message dès qu'il a trouvé un endroit déserté par les élèves pour que l'on puisse se retrouver.

— Salut toi.

On m'attrape soudainement par les hanches. Il n'y a qu'une certaine personne pour me prendre au dépourvue. Positivement bien sûre.

— Je peux savoir ce que tu me veux ? Et qui t'as permis de m'enlacer avec tes mains de bourrins ?

Et c'est loin d'être la personne dans mon dos.

— J'aurai dit que c'est une coïncidence mais depuis notre rupture j'ai cette impression que nous nous croisons plus qu'avant. Un signe du destin que ton cavalier fantôme n'est pas fait pour toi. Je te l'ai dit, on oubli le passé et on remet ça.

— En fait, un de tes boulons a sauté ? Tu as le cerveau qui fuit ma parole. Je ne vois que cette explication.

— Ella t'en a mis du temps, j'ai bien cru devoir venir jusqu'à la cafétéria. Ulys ? Il y a un souci ?

— Non. Il s'en allait. Sur le champ d'ailleurs.

— Pas exactement. On avait une conversation privée si tu vois ce que je veux dire, à ta place je remballerai ce mouvement de sourcil, mais maintenant que tu es là autant en profiter. Viens voir.

Ils s'écartent d'à peine un mètre. J'arrive aussi bien à entendre ce qu'ils se disent que s'ils étaient restés devant mon nez. Une discrétion vraiment à tout épreuve. À moins que ce ne soit une ruse de sa part. Il ferait exprès de me laisser entendre pour que je comprenne que ses intentions soient sincères.

S'il avait pu mettre autant de force pendant que nous étions ensemble. Au lieu de ça, c'est quand il sent que je lui ai échappé qu'il devient un athlète olympique en tour de barque. Il sort les rames et ne s'arrête plus de pagayer.

— On est ami tous les deux. Je sais aussi qu'Ornella est la meilleure amie de ta soeur. Vous formez tous les trois un noyau solide et personne ne pourra le contester. Il faut donc vraiment que vous, les jumeaux Davis, arriviez à m'arranger le coup. Tu la connais c'est un mur de béton, une vraie entêtée. Elle vous écoutera plus que moi c'est certain.

Le culot. Cet être vivant est à lui seul, un problème ambulant. Je ne veux pas essayer d'imaginer le changement d'humeur de Casey. Ce n'est pas comme s'il n'était pas décryptable. Après toutes ces années de bienveillance, je connais la plupart des humeurs de mes amis. Quand Casey arbore cette posture nonchalante, c'est que quelque chose ne lui convient pas. Il ne dira rien de spéciale mais attendra avec impatience qu'Ulys rabaisse son caquet une bonne fois pour toute. Sur ce point je le rejoins.

Il ne peut pas le remettre à sa place, au risque d'exposer notre mensonge si bien caché depuis ces derniers mois. Mon copain prend sur lui et plus qu'il n'a eu à le faire jusqu'à aujourd'hui. Heureusement pour nous, Cassidy n'est pas aussi casse-pipe. Nous passons des journées ensemble, je ne veux pas savoir ce que cela aurait donné.

L'échange est bref. Ulys expose juste son besoin et le blond, face à lui, lâche un grognement sceptique pour remettre cette conversation à plus tard selon Ulys. Je me doute que c'est surtout à jamais. Néanmoins, ça lui suffit car, enfin, il s'en va.

— Alors ? Tu veux qu'on aille où avant de retrouver les autres ? Tu m'as dit que tu as réussi à trouver un endroit à l'abri des regards.

Je me dandine d'un pied sur l'autre. C'est si gênant à présent. L'air me pique légèrement la gorge. Un dérèglement environnemental ? Personnellement, je n'en ai pas connu mais j'ai déjà pu lire que c'est arrivé à maintes reprises dans le temps. L'air était si aride, qu'une simple respiration de celui-ci était comme enfoncer une torche enflammée dans sa gorge. À moins que ça ne soit un signe de mon cerveau qui me prévient que la situation est en notre défaveur. Cette autre hypothèse n'est pas à laisser de côté.

Casey ne fait que quelques centimètres de plus que moi. Pourtant, cela suffit à me faire diminuer cet écart en relevant ma tête. Son sourire de tout à l'heure a disparu aussi vite qu'un mensonge me vient à l'esprit. Qu'un de ses amis lui fasse comprendre ouvertement qu'il drague sa copine, en sachant qu'il est le seul à connaître ce statut, va commencer à le peser. Son visage fermé à cet instant en est la preuve.

Je sais que c'est loin d'être facile. Devoir garder le silence alors qu'on pourrait tout simplement laisser libre court à notre relation. Sans mentir, sans se cacher, sans feindre de ne se supporter qu'à demi comme avant. Parfois, je crains réellement qu'il décide de tout arrêter. Sur un coup de tête. Parce que ça devient trop à gérer et que tout stopper ferait s'envoler des kilomètres et des kilomètres de conflits.

— On va manger.

Il part sans en dire, ni en attendre plus. Je n'ai ni le temps d'hocher la tête, ni le temps de parlementer. Je me contente de fermer les yeux quelques secondes, agrandir mes fosses nasales en inspirant plus profondément, avant de partir accompagner sa marche. Dans un calme pesant. Un peu trop d'ailleurs.

Un de ces quatre, je te ferai la peau Ulys Springs. Tu es le noyau d'une explosion. Le sujet central d'une catastrophe causée par l'homme lui seul. Si personne ne t'arrête, tu es bien parti pour semer une pagaille pas possible. Mais ne crois pas que je te laisserai agir comme bon te semble, sans que je ne vienne y mettre un terme.

Et suite à cela, je serai aux premières loges de tes funérailles comme si de rien était. Car pour faire croire au berger que le loup n'en est pas un, quoi de mieux que de se faire passer pour un mouton.

Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant