— Debout, Fox. Tu sais que tu sors aujourd'hui.
— Sortir est un bien grand mot. Je serai de retour dans quoi ? Quelques heures ? Quelques jours ? Histoire de dire que j'ai respiré un air plus libre.
— Ça ce n'est pas mon problème. Je te fais sortir de ta cellule et tu rejoins les autres.
J'étire mes membres endoloris. Ce que mon lit peut me manquer après ce mois passé aussi loin de lui. J'enroule autour de ma taille la veste orange. Au moins cela fait ressortir mon teint bronzé naturellement. Je me demande si on peut perdre de son ethnicité en restant trop enfermé loin de la lumière.
La gardienne peste à nouveau, me voyant prendre tout mon petit temps. Je ne peux pas dire que je suis pressée de jouer l'un des cobayes aujourd'hui.
Aux dernières nouvelles, le corps a été déterré. Qu'on nous laisse croupir en prison pour mineurs. Et à notre majorité on se fera transférer. Rien de trop compliqué. C'est comme la chaîne alimentaire, on suit le cours de la vie, le sens des flèches.
J'embrasse la photo de mes parents sur l'étagère. Je reviendrai bientôt. Peut-être pas chez moi, cependant, je connaîtrais bientôt les moindres recoins de ce cachot. Je pourrai dire que c'est donc tout comme. Sauf que je ne le ferai pas. Je n'aime pas cet endroit et encore moins la manière dont je m'y suis retrouvée.
Je passe les barreaux biométriques de la cellule. Les halo lumineux viennent chatouiller ma peau. La gardienne a tout juste le temps de passer son poignet sous le boitier du mur que l'équipe habituelle de recherche est dans notre couloir. Mon nom est marqué sur les têtes informatiques en approche. Je rêve où les robots de l'aile Est sont plus rapides aujourd'hui. Je note cette information pour la prochaine fois.
— Tu ne pouvais pas attendre que je désactive la sécurité ?!
La gardienne me repasse les menottes. Le contact du métal froid sur mes poignets dénudés me fait frissonner. Étendre mon corps au soleil me manque plus que je ne l'aurais imaginé. Elle aurait au moins pu faire l'effort de me donner les modernes. On sait tous que le réapprovisionnement a été fait en début de semaine. Des menottes électroniques toutes neuves et prêtes à l'essai. Elles sont largement plus confortables, sans donner l'impression de couper ta peau avec minutie. Par contre, celui qui veut tenter de s'évader n'a qu'à bien se tenir. Le coup de jus n'est pas très loin à partir du moment où tu tentes de quitter la zone les poignets encore attachés.
Qui a dit qu'on se fait à la détention ? Personne. C'est certain.
— Tu penses qu'on va nous offrir des petits gâteaux ? Ce que je donnerai pour un apéro au bord de la plage ! Le repas d'ici ce n'est pas non plus du luxe. Je ne veux pas finir la peau sur les os.
— Ne commence pas à me prendre la tête et avance. Tes copains t'attendent.
Elle a le don de me refroidir dans l'instant t. J'avais déjà tenté de la soudoyer, de me lier d'amitié avec elle. Mais rien n'y fait. Madame n'attend qu'une chose, qu'on lui annonce mon transfert.
Si elle pense qu'avec un tel comportement je risque de changer ma façon d'agir, elle se met le doigt de l'œil. Jusqu'à la rétine. J'ai encore plus envie de l'embêter depuis sa mutation dans notre service.
On croise d'autres agents dans les couloirs. Ils nous saluent, enfin ils la saluent elle, quand on passe près d'eux.
— Tu sais qu'à mon retour, tu seras encore là. C'est donc dans ton intérêt de m'avoir dans la poche. Enfin je dis ça, je ne dis rien. Une Ornella Fox douce comme un agneau vaut mille fois mieux qu'une Ornella Fox démontant le moindre mètre carré comme un buffle. Un bon gros buffle baraqué.
— Il ne nous reste que quelques mètres, garde ta salive pour ambiancer votre trajet en voiture.
— Tu n'as pas d'humour. On ne peut rien te dire sans que tu ne le prennes mal. Continue dans cette voie et tu auras de nouvelles rides avant que je n'atteigne le fourgon.
Ma chaussure envoie voler un caillou. Nous sommes dehors. Le soleil vient éblouir ma vision. Quel contraste avec l'intérieur. Je porte mes mains à mon visage. Il serait temps d'investir dans autre chose que des tests scientifiques. Le don de caquettes par exemple, ou une terrasse couverte.
Je traîne des pieds. Littéralement. Si la gardienne ne me tenait pas du regard, mon corps se traînerai au sol, à reculons. Ma liberté d'expression a du rester au portail parce que dans le cas contraire, je ne ferais pas face à un fourgon noir près duquel m'attende une bande d'escrocs. Tous les trois menottés, ils me regardent de travers en remarquant mon arrivée. À moins que je ne sois la seule à m'en persuader avec une telle force.
— Il y a cinquante ans je suis sûre que les prisons n'étaient pas mixtes. Il y a des voyous pas loin de nous.
— Fox, tu me fatigues à un point. Je te rappelle que tu fais partie de cette bande de voyous justement.
— C'était avant qu'ils me poignardent dans le dos. Un pacte scellé ne doit pas être mis en miette à la première occasion. Allez, Virginie, fais-moi rentrer, je serai la plus sage des adolescentes.
— Eh bien, tu vas pouvoir leur exposer tes théories. Maintenant tais-toi et fais l'agneau jusqu'à ce que je retourne à mes occupations. Et sois sympa en ne m'appelant pas par mon prénom.
Pas besoin de me le répéter deux fois Vivi. La vue de Joe, Casey et Sidney, suffit à me faire fermer ma cavité buccale. On n'en serait pas là s'ils avaient su garder leur langue dans leur bouche. J'arrive à hauteur du groupe. Si deux secondes en arrière j'étais dans l'intention de garder un mutisme, je ne peux m'empêcher maintenant de lancer, au gré du vent, quelques bribes de mots.
— L'hématome sur ton œil c'est quoi ? Un nouveau tatouage ? En plus d'être un voyou, tu te mets à la bagarre.
— Je suppose que je devrais te remercier puisque c'est grâce à toi que l'on est ici.
L'hôpital qui se moque royalement de la charité. Casey a la mémoire plus que courte. L'avocat des Davis m'avait clairement dit que l'un d'entre eux était revenu sur sa déposition. Sans ça, je n'aurai jamais parlé plus que prévu. Et nous n'aurions jamais eu besoin de comparaître de nouveau, quelques jours après.
Sidney semble au bord d'un ravin. Elle a perdu de son intensité et cela se ressent à travers son regard lointain. Qui l'eut cru, les cheveux peuvent réellement perdre de leur éclat. En général, on fait le maximum pour ne pas se croiser. S'il arrive qu'on se retrouve trop près dans une même pièce, l'une de nous finit par filer dans la minute.
Ils nous font monter dans le fourgon un à un. Moi qui pensais qu'on nous enlèverait les menottes à ce moment précis, je comprends que l'intention n'y est pas du tout. Je remarque qu'ils ont désactivé la fonction autonome de la voiture, puisque notre chauffeur du jour assis à l'avant est bien fait de chair et d'os. C'est qu'ils ont réellement pensé à une probable évasion de notre part. Comme si j'allais m'enfuir avec eux...
Joe n'a même pas l'air affecté de ce que l'on vit. Il n'a l'air de rien du tout en fait. C'est possible de paraître si neutre et en retrait de la civilisation humaine ? Les bâtiments de l'autre côté de la cour sont réservés aux garçons. Alors il n'y a qu'aux temps de pause que l'on peut réellement se voir tous les quatre. Bien entendu, on ne le fait pas. C'est bien la première fois que je me retrouve aussi près d'eux depuis notre arrivée ici.
Au fond, j'espère sincèrement que tout se passe bien de leur côté. Que contrairement à Sidney et moi, les garçons restent ensemble. Et surtout, que cette bagarre organisée dans la laverie était la première et la dernière.
Ce n'est pas parce que mes amis sont peut-être des traîtres que je ne m'informe pas de leur quotidien. Je continue d'être en alerte mais plus à distance que ce que l'on a connu. Une des filles qui avait cherché à s'en prendre à Sidney, le lendemain de notre admission, l'avait bien compris. Sur tous les jeunes présents, il y en a trois que je garde à l'œil et ce même si on ne se parlait pas.
— Fais ta Fox à l'extérieur mais quand tu reviens, je te veux avec l'esprit de l'agneau.
— La vérité, c'est qu'au fond tu m'aimes bien, n'est-ce pas ?
La gardienne claque la porte sans même prendre la peine de me répondre, mais j'arrive à voir, par la fenêtre fumée, un sourire se former sous son nez. J'en étais sûre.
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Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)
Mystère / Thriller"Ornella, une adolescente qui ne se laisse pas marcher dessus, doit participer à une expérience scientifique, afin de se rappeler pourquoi elle a tué sa meilleure amie" _________________________ Bienvenue en 2078 ! Les voitures n...