Trente

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La table a été dressée. Deux couverts sur les longueurs de celle-ci. Jin et son mari ont rejoint la salle à manger bien avant nous et nous attendent. Je réquisitionne la chaise en face de cette dernière. Si je veux passer un bon moment, il est plus judicieux que je choisisse où m'asseoir.

Son père ne m'a jamais donné l'impression qu'il me portait dans son coeur. Il semblait même heureux de ma rupture avec son fils. Fini de m'avoir dans les pattes constamment. S'il pouvait, je suis persuadée qu'il ferait une totale abstraction de ma présence. Manque de bol, sa femme m'apprécie plus que bien. Je suis la bienvenue en ces lieux pour les prochaines décennies à venir.

Un saladier passe de main en main. Un mélange de riz et de légume. En mettant, une cuillère dans mon assiette, je comprends que ce soir ce sera de la ratatouille.

— Alors Ornella comment se passe l'école ? Il ne me laisse pas le temps de répondre, qu'il enchaîne, j'ai appris que tu t'étais laissé à quelques folies pendant les vacances.

Ce besoin de vouloir faire entrer la tension en ma présence. À son âge, il pourrait faire preuve de plus de maturité. Et puis personnellement, quand je ne peux supporter quelqu'un, je n'essaie pas d'entendre parler d'elle.

— Tout va bien pour moi. On apprend de ses erreurs pour faire mieux de toute manière. Je suppose que c'était votre cas à une époque où vous étiez plus dans la fleur de l'âge.

J'ajoute un petit rire pour faire passer ma remarque sur le ton de l'humour. Ce que je donnerai pour qu'un de ses grains de riz passe dans le mauvais tuyau.

— Je suis content de la bonne voie sur laquelle mon garçon est. J'espère que tu en trouveras une qui puisse correspondre à quelque chose au moins.

Je referme le morceau de pain dans ma main. J'en connais un qui peut aller commencer à se faire voir. Je ne vois pas ce qu'il y a de bien chez lui pour qu'une femme merveilleuse comme Jin puisse rester. Enfin bon, ce ne sont pas mes affaires de toute manière.

— Ella arrive sur la fin de sa peine. Ça sera bientôt derrière toi et je suis sûre que ça ne te portera pas préjudice pour la suite.

— Je suis d'accord avec lui, encore un peu de travail et tu pourras classer cette partie de ta vie pour ne pas la recommencer, ma belle.

Je sors un sourire de remerciement aux deux seules personnes de cette maison, que j'arrive à considérer comme réellement sincère. Ce n'est pas le cas du vieux hibou à côté qui préfère me critiquer en faisant croire de s'intéresser aux amis de son fils.

Quoi qu'il en soit, mon poing se desserre, laissant respirer le pain détenu à l'intérieur. Le repas se poursuis. La conversation se maintiens encore peu sur mes problèmes personnels avant de partir dans d'autres direction.

— Allez les jeunes, montez. On va s'occuper du reste.

Malgré tout, je demande à Jin si elle est sûre de vouloir nous laisser filer. Son mari est parti allumer la télé pour leur soirée film. Je sais que quand il aura fini de tout préparer, il viendra lui donner un coup de main mais je ne peux m'empêcher de poser la question.

Elle conteste mon envie de récupérer un chiffon pour enlever les miettes sur la table. Elle va jusqu'à me menacer de me rouler dessus. Cette femme est d'une dangerosité sur son bolide, je rêve. Je pars rejoindre Ulys dans sa chambre avant de perdre un pied.

— Ma mère est du même avis, elle pense que nous allons retenter de se remettre ensemble. Une mère a rarement tort.

Mais c'est qu'il ne perd pas le nord. J'ai à peine poussé la porte, qu'il dévoile une partie de ses pensées.

— Je te l'ai déjà dit, il n'y a plus de nous qui puisse te concerner avec moi.

— J'en déduis que l'inconnu est toujours présent dans ta vie. Pas d'écart envisageable du coup.

À vrai dire, je ne sais pas si Casey et moi c'est toujours pareil ou si nous allons redevenir ce que nous étions. Il ne m'a pas directement dit qu'il coupait les ponts ou autre. Une partie de moi veut encore croire que ce n'est qu'une passade. Qu'on ressortira plus fort, comme d'habitude. Tant que certains mots n'auront pas été prononcés, je considère que nous sommes toujours ensemble.

— Malgré moi, tu compteras toujours dans ma vie Ulys. Ça a été court mais fort tous les deux et je ne regrette en rien ce qui a pu arriver. Sauf qu'aujourd'hui, je te le dis sincèrement et avec toute la gentillesse que je puisse transmettre, passe à autre chose. Je ne veux pas que tu passes à côté de quelqu'un à cause de moi.

— Ahh...le fameux discours typique du " je ne veux pas te faire souffrir mais tu n'as aucune chance ". Mon égo risque de ne pas l'oublier de sitôt mais j'ai compris le message ne t'inquiètes pas.

— Je te promet d'arrêter de vouloir t'éviter à tout prix et de recommencer à venir voir ta mère.

— Tu dis ça pour continuer à venir voir les albums photo où la version miniature de moi se balade fièrement le sexe à l'air ?

— On ne peut décidemment rien te cacher, nudiste va.

Il m'envoi le coussin en pleine tête que je n'ai pas réussi à éviter. C'est bon enfant. L'atmosphère se fait plus douce et c'est ce que j'aime. Être moi, sans devoir m'acclimater aux gens. Ulys a toujours su faire preuve d'un comportement avec moi que je ne saurais expliquer par des mots. Il y a quelques semaines, j'étais encore mal de notre brutal rupture, je ne me voyais même pas repartager un moment comme celui-ci avec lui.

Je ne m'en fais pas pour lui. Il saura rebondir. Je ne lui souhaite réellement que du bien. Il lui suffit juste d'apprendre à s'ouvrir un peu et je sais que je ne suis pas celle qui le lui permettra. Du moins pas en tant que petite-amie.

Moi qui pensais partir à la fin du repas, tel une voleuse. À bien y repenser, je ne suis qu'à deux minutes de la maison. Rester une heure de plus ne me mettra pas un pied dans la tombe.

Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant