Quarante-et-un

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Je sors, les pieds rentrés dans mes chaussettes seulement, elles attrapent toutes les petites poussières du sol. Ma référente prête à poursuivre notre petite visite guidée du lieu, bloque son regard sur les chaussures dans ma main.

— Un problème ?

— Elles ne me vont pas, je soulève les chaussures. C'est possible que je garde les miennes en mettant des charlottes par-dessus s'il le faut ?

— Prends en dans le tiroir du meuble juste là. J'ai l'impression que tu l'oublies mais tu es attendue. Je te rappelle que tu n'es pas là pour t'amuser. Le poste où tu es placée requiert une certaine hygiène. Si ce n'est pas encore le cas, tu peux déjà poser ton téléphone dans ton sac, tu n'en n'auras pas besoin ici de toute façon. Tu vas intégrer une équipe, tu fais ce qu'elle te demande et tout ne peux que bien se passer. Ça vaut mieux pour toi de toute façon.

En moins de trente secondes je repose les chaussures, remet mes baskets que je fais chacune glisser dans une charlotte. Tout à l'heure, elle parlait d'un service qui ne va pas tarder à commencer. Un service de quoi ? On m'a juste dit de venir ici, je pensais que c'était pour faire un tour du propriétaire. Je reviens tout juste vers elle qu'elle reprend son chemin.

— Je suis censée vous appelez madame ? Ou on s'appelle par notre prénom et je vous tutoie aussi ?

— Disons qu'on peut rendre la fin de ta peine moins éprouvante que balayer les rues. C'est Virginie, mais tu aurais sans doute fini par l'entendre dans la bouche de quelqu'un.

Elle me fait entrer dans une pièce. L'équipe du personnel s'affaire à la tâche dans la grande cuisine. Ils ont tous le même ensemble qui m'a été proposé. Entre celle qui fait sauter des steaks ou encore celui qui dispose des légumes dans un grand bac de fer, je comprends que le service du midi va effectivement bientôt débuter. Travailler en cuisine...ils ont le droit de faire ça ? Virginie interpelle un homme revenant par une autre porte. Je crois l'avoir vu passer avec l'un des bacs en fer quand nous sommes arrivées.

— Génésis, je te présente Ornella. C'est l'adolescente envoyée par le juge comme je te l'avais dit. Je te la confie jusqu'à la fin du service. Ça devrait être assez. Quant à toi, je récupère ton sac et tu le reprendras au moment de ton départ.

— Tout d'abord, tu vas aller laver tes mains et on va te trouver une petite place ensuite en cuisine ou pourquoi pas dans la salle.

Je me dirige sans broncher vers un grand lavabo. Tous ces adultes derrière moi ne cessent de s'agiter dans tous les sens pour tout préparer. Dans quelques années ça sera à notre tour. Pas forcément pour le même métier mais comme eux, on s'activera à la tâche. Des décisions remplies de responsabilité ne vont pas tarder à faire la queue devant la porte de chacun. D'ici là, je peux encore me laisser aller à quelques déviations. À mes risques et périls cependant de recevoir, les prochaines fois, plus que quelques heures de travaux d'intérêts.

Je suis mise au poste des plats, je n'ai pas bien retenue le nom exact mais ça résume où je me trouve. C'est à dire que des adolescentes vont arriver avec leur plateau, on se croirait à la cafétéria de l'école, et je devrais mettre le repas dans les compartiments de leur plateau. Bon, aux premiers abords cela ne semble pas être d'une grande difficulté.

Les aiguilles de l'horloge arrivent sur l'heure où le soleil est au zénith. Les pensionnaires commencent à arriver au compte-goutte mais très vite une file d'attente se crée. Le silence laisse place à un fond sonore composé de bribes de conversation qui flottent dans les airs. Armées d'un plateau qui se rempli au fur et à mesure, les filles commencent à arriver à mon niveau.

— Sers en moi plus. Tu comptes nous laisser mourir de faim.

Je me dépêche de rajouter une louche. Imaginons que quelqu'un entende que je sous nourri les adolescentes. Les ennuis risquent de démolir ma porte. Fini de sonner pour prévenir de sa présence.

— Maya passe ton chemin au lieu de brutaliser la jeune recrue. Tu gènes tout le monde en plus de nous mettre en retard. Ornella, si tu sers des pyramides de nourriture dès le début, tu n'en auras pas assez pour tout le monde. Si je te dis une cuillère et demie, fait comme je te demande de faire s'il te plaît.

Génésis n'a pas l'air satisfait de mon travail. C'est ce qui s'appelle commencer le bec dans l'eau. Il a plus d'expérience c'est vrai, et j'arrive à me laisser démonter par la fameuse Maya. Quel stress quand même. Je veux dire, toutes ces filles ont dans les abords de mon âge. Je pourrais être à leur place à l'heure qui l'est. Au lieu de ça, je me retrouve à leur servir leur déjeuner. Heureusement pour moi, le petit ange qui tient mes épaules fait office de barrière contre ce qui pourrait m'arriver de mal. Un de ses quatre, il n'en pourra plus et me laissera tomber. Si ce jour pouvait ne pas arriver, ce serait pour mon plus grand plaisir personnel.

Ainsi le service, comme ils l'appellent, continue de se dérouler. Après ce petit incident, j'ai fait plus attention à ma manière de répartir le repas. Personne n'a retenté de me rajouter une pression non plus. Mine de rien, on prend conscience de certaines choses que lorsqu'on y fait face.

Pendant ces quelques heures, une dispute a démarré entre deux filles pour une même table. Apparemment, l'ancienneté est un critère à prendre en compte quand on tente de s'imposer. Virginie a été obligé d'intervenir pour les séparer, je n'avais d'ailleurs pas remarqué sa présence dans la salle. Cet établissement a ses propres règles mais les adolescentes qui s'y trouvent ont elles aussi instaurer le propre code. Gare à celle qui tenterait de trop se rebeller.

Après que tout le monde a quitté l'espace, j'ai dû repartir en cuisine pour collaborer au ménage. Aucun traitement de faveur. Ils ne sont pas là pour utopier mon temps mais me montrer la réalité de la vie. Quand on est venu voler ce véhicule, on n'a pas seulement fait un tour des rues. On a fait déplacer une voiture de police, mis en retard un salarié et la société où il travaille donc une possible perte d'argent dû au temps perdu, mis en danger des civiles et nous-même. Si on avait fini par causer un accident, qui sait combien de personnes se seraient ajoutées à cette équation. C'est tout un engrenage et il ne suffit que d'un grain de sable pour mettre à mal la machine.

Suite au rangement, j'ai pu prendre un plateau mis de côté pour moi pour pouvoir à mon tour manger. Génésis ne m'a pas félicité pour mon travail accompli, pour eux c'est le quotidien, je n'ai pas non plus fait de grands exploits. Cependant il a reconnu que je m'en étais très bien sorti.

Je récupère mes affaires posées dans le bureau et jette dans la poubelle de celui-ci les charlottes que j'avais mis dans mes poches. La grande Vivi continue de m'escorter au portail.

Normalement je peux être confiante, j'ai été professionnelle et responsable du début à la fin. Je vais pouvoir dire adieu aux heures de travaux d'intérêts sans soucis. Génésis m'a paru content de mon travail. Les deux structures où j'ai été feront un bilan au juge qui se charge de mon dossier et à partir de là on saura si c'est une page qui se tourne.

Je reconnais la silhouette près du portail. Ma mère a marché les quelques mètres entre le parking et la prison. Ma tutrice du jour s'arrête. Elle déverrouille la grille avant de se tourner vers moi.

— Maintenant que tu sais comment ça se passe entre ces murs, j'espère ne pas avoir à revoir ta tête derrière l'un de ces barreaux.

Ce n'est pas dans mon intention, sois-en sûre. Et puis pour le moment, c'est un cours de sport qui m'attends. C'est vraiment parce que ma mère va s'impatienter et que la voiture est devant le bâtiment que je m'y rends. Si ça ne tenait qu'à moi, j'ai déjà raté plus de la moitié de la journée, autant revenir demain.

Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant