Pourquoi m'avez-vous enterré ? (en correction)

Trente-cinq

Enroulée dans ma couverture tel un saucisson, je descends les escaliers en prêtant attention à ne pas glisser. Étant donné que nous entrons dans le week-end, je peux me laisser aller. Sortir du lit deux heures avant que le soleil ne soit au zénith, aspirer le monde extérieur en baillant parce que je ne couvre pas ma bouche avec ma main ou bien encore donner l'impression d'avoir été actrice d'une expérience chimique raté, d'où le désordre dans mes cheveux. De quoi bien commencer la journée.

— Maman ? Je croyais que tu n'étais pas à la maison aujourd'hui.

— Depuis quand on doit te rendre des comptes ma fille ? Entends bien ces deux derniers mots. Ce sont les plus importants.

— Je sais, mais tu te souviens que Cass vient tout à l'heure. Je t'en ai parlé en rentrant de la plage mercredi soir.

Mieux vaut rappeler le contexte. Je ne suis pas à l'abri d'une mauvaise surprise. En trois jours elle a pu oublier. Je suis apte à comprendre que tout ne tourne pas autour de moi, et qu'elle à d'autres informations à retenir mais tout de même. À partir du moment où elle m'a dit que c'était d'accord, je ne veux pas m'attendre à un changement de dernières minutes.

De plus, Cass est déjà en chemin. Elle m'a appelé pour me le faire savoir. C'est la sonnerie de mon téléphone qui m'a quasiment expulsé du lit. Je ne me souvenais pas être partie me coucher hier soir en ne le mettant pas en vibreur, voire en silencieux.

— Comment ne pas s'en rappeler. Tu le répète en boucle. Je t'ai dit que c'est bon. J'irais rejoindre ton père et les parents de Joe tout à l'heure.

J'en conclue que papa a dû travailler de nuit encore une fois et qu'il a fini trop tard pour rentrer à la maison. Il arrive que ma mère fasse des insomnies dû à de trop grosses montées de stress. On fait le maximum pour la laisser dormir, autant qu'elle en a envie, les jours où cela n'arrive pas.

Le travail de mon père le contraint à des horaires non fixes. Il peut travailler de nuit comme de jour. On a trouvé plus astucieux qu'il aille dormir chez Franck afin de ne plus réveiller maman en pleine nuit. En général, elle ne se rendort plus après ça. Ça m'est déjà arrivé d'aller lui ouvrir la porte d'entrée et qu'il passe le restant de la nuit sur le canapé mais on ne peut pas dire que ce soit le plus confortable.

La porte d'entrée s'ouvre et se referme sans qu'on entende toquer ou bien retentir la sonnette. Ma meilleure amie débarque dans la cuisine toute souriante.

— Bonjour Djenna.

— Tu vas bien Cassidy ? Je vais vous laisser entre vous les filles. J'attends un appel mais si vous avez besoin je suis à l'étage.

— Je finis de tout préparer et l'on s'y met. Je n'ai pas pris de petit déjeuner. Je devrais être au bord du malaise mais le hasard fait que je suis toujours debout.

— T'inquiète, on va remédier à tout ça.

Elle me lance une barre chocolatée, sortie de son sac, que j'attrape en plein vol. Prenons contact au plus vite avec l'entraîneur de baseball, j'ai toute mes chances. Rien de mieux que le goût du chocolat et du caramel qui passent sur la langue.

— Demain, je ferai venir Casey chez toi. À toi de trouver tes arguments.

— Tu vas lui dire quoi ?

— Je ne sais pas encore mais je vais trouver facilement.

Il ne me reste donc que cette journée avant de confronter Casey. C'est sans fin. Au moins, nous ne serons que nous deux. Personne ne pourra venir nous déranger.

Elle finit de s'essuyer les mains et commence à visualiser la recette du livre. Ce midi on part sur des lasagnes au boeuf. On avait voté pour le saumon mais manque de bol, il n'y en avait pas.

— Je te laisse mettre la main dans la viande, Cass sort la bouteille de lait du réfrigérateur.

— Je vais nous faire une bolognaise à s'en lécher les doigts.

Je tente un accent un peu italien qui nous dirige plus vers un fou rire qu'autre chose.

— Sidney t'a envoyé à quelle heure on doit être là-bas ?

— Quatorze ou quinze heures, j'ai un doute. Je vérifierai son message mais c'est dans ces eaux-là. On pourra flâner quelques minutes avant de partir.

Des pas se répercutent contre les murs. Ma mère finit par descendre, un sac dans le bras. Elle contrôle que l'on ne crée pas d'étincelle dans la maison, c'est mal nous connaître. Ce n'est pas comme si nous n'avions pas l'habitude de se faire à manger toutes les deux.

J'ai la main dans le saladier de la viande hachée. Il faut qu'elle se mélange bien avec les épices avant qu'on ne la fasse cuire. Cassidy s'occupe de remuer la béchamel. Elle devrait bientôt être terminée, et on pourra la laisser refroidir avant de monter les étages de nos lasagnes.

— Pensez à bien éteindre les feux quand vous aurez fini. Moi, je vais y aller avant d'être en retard.

— Je croyais que tu devais y être il y a une heure.

— Ma chérie, il faut savoir se faire désirer.

— Donc ça n'a rien à voir avec le fait que le téléphone du travail a sonné tout à l'heure. Bah quoi ? J'ai les oreilles qui traînent.

Il y a surtout une mélodie différente entre le téléphone du travail, celui de la maison et le sien. Dès qu'on les a bien mémorisés, c'est dans la poche.

— Tu n'as pas pris ça loin. Bouche cousue, j'ai dit à ton père que je mettais sous clé le travail pour la journée.

— Je vais avoir besoin d'une petite garantie bonus pour être certaine que des mots ne s'échappent par inadvertance. Cassidy pourra venir à la prochaine fête des voisins ?

Elle nous regarde l'une et l'autre afin de juger à quel point les deux adolescentes, devant elle, sont pénibles. On a passé l'âge de faire nos yeux de biches, néanmoins une légère moue ne nous fera pas de mal.

— Bien sûre.

On se tape dans la main. C'est ce qui s'appelle une mission accomplie. Je mime un verrou sur le coin de la bouche.

— Mais il faudra voir avec Jin, c'est elle qui s'en charge si je ne me trompe pas.

La vicieuse. Elle l'a fait exprès, j'en suis persuadée. J'aurai dû demander autre chose. Jin voudra bien que Cass vienne sans aucun doute. Sur le coup, cela semblait le meilleur compromis. Elle m'a eu en beauté sur cette fois.

— Bonne journée les filles. Amusez-vous bien, et passez le bonjour à vos coéquipiers.