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   Jamal tressauta en entendant la porte s'ouvrir et se refermer violemment. Ses yeux effarés délaissèrent le roman qu'il lisait près de la cheminée de son salon cosy pour se poser sur son petit-fils debout devant l'entrée de la pièce. Nabil lui lança à peine un coup d'œil avant de disparaître dans le couloir.

   L'aïeul perçut le bruit d'ustensils entrechoqués et de casseroles renversées. Dans un soupir d'exaspération, il abandonna l'idée de se chamailler avec son petit-fils puisqu'il n'en avait pas la force, ni même l'envie et partit à sa rencontre. Quelle ne fût sa surprise lorsqu'il vit le jeune homme poster près du micro-onde qu'il sur lequel il s'acharnait au milieu d'un désordre sans nom dans la cuisine. En même temps qu'il essayait de réchauffer à manger, il passait sa frustration sur tout ce qui lui tomber sous la main. Jamal l'observa dans un silence de mort, ne voulant en aucun cas l'interrompre. Le vieil homme attendit qu'il se calme, ce qui ne tarda pas.

— Y'a pas de micro-onde en prison ?

La lassitude qu'il lit dans son regard bleu fit vite comprendre à Jamal que Nabil n'était pas d'humeur à plaisanter. L'aïeul se ravisa et prit place sur une chaise. Il joignit ses mains sur la table en bois et un air inquiet peignît les traits de son visage vieilli par les longues années de dur labeur.

— Qu'est-ce qui ne va pas, Nabil ?

— Je n'arrive pas à mettre en marche le micro-onde, répondit le garçon en appuyant sur le bouton on/off de la machine en vain.

— C'est parce qu'il est débranché.

— Mais pourquoi tu débranches le micro-onde?

— Ce n'est pas toi qui paie les factures.

Jamal avait bien compris que le jeune homme ne voulait pas s'exprimer. Il cherchait par tout moyen de changer le sujet de discussion mais n'étant pas de cet avis, le vieil homme n'allait pas le laisser s'éclipser aussi facilement. Pas après avoir mis la cuisine dans cette pagaille. Il attendit que le garçon s'installe en face de lui avec son plat fumant et sa boisson à la main avant de l'aborder à nouveau.

— Pourquoi tu es dans cet état ?

   Nabil planta sa fourchette dans ses pattes, les enroula autour de celle-ci et fourra le tout dans sa bouche. Jamal renâcla.

— Tu as de nouveau ces cauchemars, c'est ça ?

   La main de Nabil se crispa autour de la bouteille de sprite qu'il s'était déniché dans le frigo. Il lui fallut quelques secondes avant de nier les propos de son grand-père. Instant de trop pour le vieil homme qui plissa les yeux.

   Jamal ne savait pas que ses cauchemars persistaient. Pour lui et pour Theresa Reed, son docteur, ceux-ci avaient cessé depuis un moment. Un mensonge pur et net qu'il leur avait fait croire pour éviter de prendre ces cachets et ces gélules contre l'insomnie et le syndrome de stress post-traumatique au goût plus que répugnant. Et il ne comptait pas l'en informé aujourd'hui.

— Non.

— Tu en es sûr ?

— Ne t'inquiète pas je te dis, dit le blond pour le rassurer. J'ai eu un accrochage avec les autres.

— Ça c'est encore mal passé, pas vrai ?

— Que veux-tu que je te dise ? J'avais l'impression d'être dans une cage aux loups. Encore heureux qu'on ne s'est pas battus.

— Heureusement, ça tu l'as dit. Tu aurais encore fini déformé comme la dernière fois.

   Nabil braqua ses orbes haineux sur son grand-père. Le vieil homme leva les mains en signe de reddition. Il prit ensuite une autre gorgée de son breuvage. La sensation du liquide frais circulant dans sa trachée lui fit un bien fou qui le força à fermer les paupières et à profiter de ce moment. Une minute de courte durée car la voix de son aïeul s'immisça dans son esprit, l'obligeant à rouvrir les yeux.

Les ombres du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant