Les ombres du passé

14•

   « Il ne s'est rien passé. »

   Ces mots avaient eu l'effet et la puissance d'une balle dans le cœur. Son muscle cardiaque battait difficilement dans sa poitrine et l'air, comme constellée de souffre, peinait à tracer son passage vers ses poumons brûlants. Elle avait l'impression que le paysage autour d'elle se confondait pour ne plus être qu'un amas de couleurs qui lui donnait le tournis tout en faisant siffler ses oreilles. Ses billes grises, brouillées par les larmes, lui picotaient atrocement.

   Titubant un peu dans tous les sens, la jeune femme se tint fortement à un arbre et ferma les paupières. Ses jambes flageolantes la soutenaient à peine alors qu'elle se concentrait sur cet objet immobile pour se stabiliser et reprendre contrôle de son corps secoué par des soubresauts. Mais épuisée, elle se laissa tomber à genou, dépourvue de toute force.

« De quoi tu parles ? »

   Pourtant elle le savait, elle s'était préparée à une telle éventualité, à un énième rejet de sa part, mais la lueur d'espoir en son fort intérieur l'avait empêchée d'abandonner l'idée et espérer à une quelconque attirance de sa part. Voilà qu'encore une fois, elle s'était prise une gifle en pleine face.

   Une idiote écervelée, bornée avec aucun respect de soi, voilà ce qu'elle était : un cas désespéré.

   Le ciel émit un grondement au dessus de sa tête. Le vent souffla violemment, soulevant avec puissance ses cheveux et les quelques feuilles mortes qui lui fouettèrent le visage. Le temps changeait petit à petit, mais Heley n'en tint compte, trop absorbée par le fil de ses pensées.

« Il ne s'est rien passé. »

   Quand comprendrait-t-elle que c'était un amour à sens unique ? Qu'attendait-elle qu'il fasse pour pouvoir passer à autre chose ? Cela ressemblait plus à une obsession qu'à de l'affection. Oui, une obsession. Ce qu'elle ressentait pour Nabil n'avait plus rien de l'amour, mais de la folie. Sinon comment expliquer qu'elle soit toujours amourachée du jeune homme malgré ses rejets perpétuels ?

   La jeune femme s'essuya les joues inondées. Ses larmes coulaient encore, elle ne semblait vouloir s'arrêter de pleurer, elle n'en avait pas la force, ni même l'envie. Sa peine était beaucoup trop grande et elle aspirait à libérer son cœur de ce martyr.

« D'ailleurs, il serait temps que tu restes loin de lui. »

   Deiko avait raison. Elle avait besoin de prendre du recul. C'était pour son propre bien mental. Et rester près de lui ne l'aiderait pas à oublier ses sentiments qui s'apparentait plus à une drogue.

   Tant bien que mal, la jeune femme se remit debout. Elle mit un pied devant l'autre et se sentit tanguer vers l'avant. Avec effroi, la brune vit le sol se rapprocher dangereusement de son visage. Alors, elle ferma les yeux et attendit l'impact. Il n'arriva jamais. Un bras, s'étant enroulé autour de sa taille l'empêcha de se retrouver face contre terre. La surprise s'empara d'elle lorsque ses iris se plantèrent dans celles de Luda. Heley se raidit aussitôt.

   Doucement, les premières gouttes de pluies tombèrent du ciel accompagné d'un tonnerre qui déchira le firmament recouvert de nuages gris. Maugréant des paroles imperceptibles pour la jeune femme, Luda, dans un geste contrôlé, la releva d'un mouvement sec et rapide avant de la prendre par les jambes, de la faire basculer sur son dos et de courir tout droit vers le parc pour enfants, se protéger de la pluie qui prenait en intensité, dans la cabane en bois près du toboggan. Tout ceci sans que Heley n'émette une objection, se posant encore des questions sur sa présence ici.