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— Encore merci pour votre aide, dit Heley en entrant dans la pièce.

Dans l'obscurité du salon de la famille Allen, à peine éclairé par la petite lampe siégeant sur une commode au coin de la pièce, Luda et Kharis se levèrent du canapé à son arrivée. Alors que le taciturne se guindait de son air stoïque habituel, Tête d'ananas, quant à lui, paraissait très inquièt pour leur camarade se reposant dans une des chambres à l'étage. Retrouver son ami dans un état proche de la démence lui avait foutu les boules au ventre. Il se précipita vers Heley pour prendre de ses nouvelles :

— Alors, comment il va ?

— Il vient de s'endormir. Honnêtement, il ne va pas bien du tout.

— Tu m'étonnes.

Un blanc s'installa. Seul fredonnait le téléphone sur lequel Luda pianotait avec une grâce que Heley ne lui reconnût pas. Derrière les rideaux épais, les derniers rayons du soleil s'évanouissaient dans un ultime gazouillis d'oiseaux. Kharis s'avachit de nouveau sur le canapé et bascula la tête en arrière.

— J'imagine pas l'état dans lequel il doit se trouver. J'en ai de la peine pour lui. Et dire qu'il allait déjà mal quand on est passé le voir avec les gars...

— Je comprends toujours pas, poursuivit Heley. Quand je l'ai trouvé, il avait l'air...

Elle se laissa tomber prêt de Kharis et serra une housse de coussin en tissu de velours contre elle. La jeune femme prit le temps de chercher le mot qui lui échapper.

— L'air si brisé que je n'ai pas su comment réagir sur le coup.

— Tu as été là, c'est tout ce qui compte, dit Luda.

   Celui-ci s'était posé sur l'accotoir du canapé sur lequel s'était installée Heley. Il tenait entre ses doigts une figurine de ninja avec laquelle il jouait.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle. Pourquoi il est comme ça ?

   Les deux jeunes hommes se lancèrent un regard complice qu'elle ne manqua pas. Heley fronça automatiquement des sourcils et les observa à tour de rôle.

   En classe quand tout avait commencé, Wheeler avait simplement reçu un appel de Kharis, lui informant qu'ils devaient absolument partir à la recherche de Nabil car il était introuvable. Inquiète à l'idée que quelque chose lui soit arrivée ou qu'il décide de s'en aller ne supportant plus l'oppression des autres, la jeune femme était sortie en trombe rejoindre Tête d'ananas. Et avec l'aide de Luda, ils s'étaient séparés pour élargir leur champ de recherche.

   C'était par pur hazard que Heley le trouva à mi-chemin de Pizza Express, à genoux près d'un tronc d'arbre. Les gens le regardaient de travers, mais lui ne semblait n'avoir rien remarqué. Et quand il l'avait serré dans ses bras de toutes ses forces en pleurant à chaudes larmes, son cœur s'était tout de suite accablé. Elle avait ressenti son chagrin comme si c'était la sienne, ce qui l'avait troublé. Ne sachant quoi faire, elle avait directement fait signe à Kharis et à Luda qui s'étaient aussitôt rappliqués.

   Les deux garçons s'étaient chargés de le ramener au domicile de Kharis, là où ils se trouvaient maintenant.

— Qu'est-ce que vous me cachez ?

— La Croix Rouge est de retour, lâcha le noiraud.

— Non ! s'exclama-t-elle, n'y croyant pas un mot.

— C'était prévisible, renchérit Luda. Avec Othman, on s'y attendait.

   Luda Slavkin reposa la figurine de Ninja sur son support de prédilection et quitta l'accotoir. Il rangea son cellulaire dans la poche arrière de son pantalon et entama son récit.

Les ombres du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant