5/ Les frères

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Céleste s'approche de la fenêtre. Elle guette la voiture du frère d'Olimpia. Elle est dans un état qu'elle peut qualifier, au mieux d'inconfortable, au pire de carrément insupportable. Elle est à la fois gênée par le nombre incalculable d'attention prodiguées par Pia, et stressée de devoir à ce frère aîné inconnu une reconnaissance éternelle pour une aide qu'elle n'a même pas sollicitée.

En clair, elle est au bord de la crise de nerf.

Céleste n'a pas l'habitude d'être l'objet de tant de sollicitude. Et pour le moment, elle ne peut pas dire qu'elle apprécie particulièrement cet état de fait. D'autant que sa méfiance naturelle a repris le dessus. Tout ça n'est-il pas trop beau pour être vrai ? En France, personne ne lui aurait proposé autant en si peu de temps. Pas qu'il n'y ait pas de gens sympathiques dans son pays, mais on ne propose pas spontanément à des inconnus une aide aussi précieuse sans contrepartie. En tout cas, pas dans son entourage proche, ni dans son milieu. C'est fort rare. Donc suspect.

Va-t-on la faire disparaître une nuit sans que personne ne sache jamais où elle a bien pu passer ? Elle s'imagine déjà enlevée, vendue, esclave quelque part sur le globe...

Au bord de la crise de nerf, donc. Il faut qu'elle se calme. Ok ! Elle ne sait rien de cette famille. Ok ! Elle n'a pas été assez précautionneuse. Mais rien n'est perdu. Elle peut toujours fuir. Non ?

Mais avant, elle attend de voir la voiture. Si c'est un de ces petits triporteurs, alors ça pourra aller. Personne de dangereux ne s'abaisserait à se déplacer dans ces ridicules petits véhicules à trois roues. Sauf peut-être un tueur psychopathe qui voudrait endormir la méfiance de sa proie... Argggh ! Elle va péter un câble si elle ne se calme pas ! Bon. Un triporteur ça ira. Si c'est une Fiat aussi. Un petit modèle s'entend. Mais plus gros, il faudra qu'elle soit sur ses gardes.

Elle en est là de ses pensées, quand une énorme berline italienne rutilante et sombre sort de la route pour se garer sur le parking devant le petit immeuble. Son cœur manque un battement... Bon Dieu ! C'est une voiture de dealer, ça ! Une vraie ! design agressif et verre fumé. Elle se morigène d'avoir accepté l'aide de cette Olimpia Malatesta ! Mais qu'est-ce qui lui a pris ?

Son nom même aurait dû lui mettre la puce à l'oreille ! Malatesta ! C'est le nom d'une puissante famille du Moyen-Âge. Il est probable qu'elle le soit restée ! Que va-t-elle faire maintenant ? À cette heure de la journée, il n'y a personne d'autre qu'eux ici ! Elle aurait dû insister pour attendre ce week-end ! Ma che stupida ! Voilà qu'elle s'injurie en italien maintenant !

Céleste prend son courage à deux mains et attrape sa besace dans laquelle elle détient l'ensemble de sa vie : papier d'identité, carte d'étudiant, argent.... Elle la met en bandoulière. Si elle doit fuir rapidement, elle aura au moins de quoi survivre.

Enfin survivre. Il faut être réaliste, hein ! Vue sa clairvoyance manifeste, et sa capacité à s'en sortir en cas d'agression proche du zéro, elle n'ira pas loin. En bref, en cas d'apocalypse zombie, elle ne tiendrait pas une demie heure. En terre étrangère, elle monterait peut-être jusqu'à trois quarts d'heure ?

Il faut qu'elle souffle. Qu'elle respire profondément. Elle va s'y mettre quand Olimpia surgit brusquement dans la pièce en s'écriant que ses frères sont là. Ses frères ? Ils sont combien ?

Céleste est au bord de la syncope.


La française est méfiante. Galeazzo le remarque immédiatement, au contraire de ses deux autres frères qui lui tournent autour comme deux souris autour d'un bout de fromage. Elle rit doucement aux blagues de Giuseppe, et aux réparties spirituelles de Giambattista, mais elle n'est pas entière. Il le sent. Il sent le barrage qu'elle a érigé autour d'elle.

Il hausse les épaules. Et alors ? Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Il avise les sacs dans l'entrée de l'immeuble. Plus vite ce sera terminé, plus vite, il pourra rejoindre le bureau et ses dossiers. Il attrape deux sacs et s'empresse de passer la porte sous le regard inquiet de Mlle Melville. Il hausse un sourcil, et elle détourne la tête.

Pour qui le prend-elle ? Un voleur à la petite semaine ? Plus probablement pour un mafieux, rapport à sa Maserati... Il connaît les préjugés que les étrangers peuvent avoir sur son pays. C'est vrai que la mafia est toujours active, mais tous les italiens n'en font pas partie ! Bah ! De toute façon, il s'en fiche de ce que peut penser cette sauterelle multicolore ! Parce que, pardon, mais question vestimentaire, il n'a jamais rien vu de pareil !

Il dépose sans ménagement les deux sacs dans le coffre, tandis que ses frères arrivent avec le reste. Deux autres sacs. Une caisse avec des livres. Olimpia ne porte rien. Évidemment.

D'une main, la française tient la bride de sa besace comme si sa vie en dépendait. Ça aurait pu être comique s'il n'y avait un je ne sais quoi qui l'irritait profondément en elle.

– Quel est son problème à ta copine ? demande-t-il à Olimpia lorsqu'elle est près de lui.

– Qu'est-ce que tu veux dire ?

– On dirait que ça lui fait mal qu'on lui rende service...

– Mais non ! Elle est intimidée ! C'est tout ! C'est que vous êtes impressionnants tous les trois ! Et ta voiture ! Elle en jette !

– Te fous pas de moi, Pia ! Tiens, d'ailleurs, pendant que j'y pense, et avant que nous abordions le sujet ce week-end avec papà, c'est quoi cette histoire de grec !

– Je vois que les nouvelles vont vite... j'irai remercier personnellement Marco de sa surveillance ! C'est vrai que je n'ai pas assez de trois frères !

– Si tu te comportais autrement, on n'aurait pas besoin de te surveiller.

– Et si vous arrêtiez de me surveiller, je me comporterais peut-être autrement !

Galeazzo ouvre la bouche pour répliquer. Puis, préfère ne rien dire. Ça n'est pas le moment d'avoir cette discussion. S'ils restent une minute de plus sur ce parking, la française risque de s'enfuir à travers champ. Ce que Giù et Battista trouveraient sans doute très drôle, mais pas lui. Lui, il a à faire.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant