23/ Ne promettre que le pire

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Céleste somnole le visage appuyé contre la portière, les mains sous son menton. Elle a l'air paisible malgré la position inconfortable. Galeazzo la regarde de temps à autre. Il ne sait pas comment la situation a pu lui échapper à ce point. Leur échapper à ce point. Il ne se souvient pas s'être jamais mis en colère contre qui que ce soit comme il l'a fait contre Céleste Melville. Comment une fille aussi insignifiante peut-elle le faire autant sortir de ses gonds ? C'est incompréhensible. Sauf si... Non. Bien sûr que non ! Il ne peut se résoudre à croire à une telle éventualité...

Non. Il y a autre chose. Forcément. Il songe à son père. Lui aussi en colère contre « cette satanée française » comme il l'a appelée quand ils se sont tous aperçus de sa disparition. Alessandro a été très ébranlé par la réaction de Céleste. Il a pris l'habitude des femmes dociles et sans aspérités qui l'entourent au travail. Il est un chef de famille et chef d'entreprise respecté et puissant. Seule sa fille regimbe. Mais c'est sa fille.

Qu'une autre jeune fille lui tienne tête, et surtout lui réponde aussi franchement d'aller se faire voir, ne peut que l'irriter. Même s'il a reconnu qu'elle s'était parfaitement exprimée dans leur langue pour se faire comprendre, elle demeurait une étrangère.

En réalité, toute la famille s'est demandée pourquoi Céleste Melville a réagi aussi vivement. Son agressivité ne peut pas s'expliquer seulement par les remarques qui ont été faites, ou même les attitudes qui ont été affichées. Il y a forcément autre chose. Chacun y a été de son hypothèse. Nonna Gianna a été la seule à ne rien dire. Ce qui, en règle générale, signifie qu'elle sait des choses, mais qu'elle les garde pour elle. Elle avait juste murmuré un dicton du sud qui parlait d'animal pris au piège.

Il ne voit pas le rapport. Ne veut pas le voir. Pas plus qu'il ne veut repenser aux pensées qu'il a eu face à Céleste dans la bibliothèque, puis tout à l'heure près de la voiture. Tout est très confus, et il déteste ça !

Comment peut-il même penser à cette fade jeune femme alors qu'il a eu la plantureuse Francesca accrochée à son cou toute la soirée ? Mais justement. Ce témoignage excessif d'affection ne lui ressemble pas du tout. Francesca a-t-elle senti que quelque chose clochait avec cette petite française ? S'est-elle sentie en danger ? C'est impossible ! Céleste n'est qu'une ombre face à l'italienne. Aucunement une menace.

Mais il y a ce sourire. Cet incroyable sourire. Cet indescriptible sourire qui fait exploser le cœur d'Azzo sans qu'il ne puisse rien y faire. Il se souvient parfaitement du moment où il a été pris d'une intense jalousie envers son frère, Giuseppe, qui trouve la jeune fille à son goût et le lui témoigne en étant charmant. Le moment de jubilation honteuse au moment de l'incident dans le club. L'attente et la déception lorsqu'elle s'est montrée froide et coupante.

Et quand dans la bibliothèque, il avait tenté une autre approche, tout était allé de travers. Alessandro avait-il deviné son attirance pour Céleste ? Était-il intervenu avant que son fil ne fasse ce qu'il jugeait sans doute, être une erreur monumentale ? Il ne lui avait rien dit.

Quoiqu'il en soit, Céleste avait réagi. Elle ne s'était pas laissée faire. Par aucun des deux hommes. Elle les avait affrontés. Et maintenant ?

Galeazzo n'aurait pas dû vouloir sciemment blesser la jeune femme. Pourtant, il n'a cessé de se comporter comme un cazzo. Et pourquoi ? Parce qu'il ne peut accepter d'être troublé par cette fille ! Il ne peut s'y résoudre.


La voiture se range sans difficulté sur le petit parking près du centre historique. Galeazzo n'a pas activé son pass. Il veut marcher avec la jeune femme. Il veut avoir l'opportunité de discuter, de s'expliquer, d'apaiser la colère. Même s'il ne sait pas du tout comment il va s'y prendre. Et quand il voit le regard de Céleste avant qu'elle ne sorte de l'habitacle, il se dit que ça n'est pas gagné. Il y a tant de colère en elle. Une colère qu'il ne peut être seul à susciter...


La jeune femme descend sans un mot. Elle prend la volonté de se garer loin de l'appartement pour une marque de plus de son mépris pour elle. Il ne fera plus aucun effort. Parfait. C'est enregistré.

Sans un mot, elle s'engage dans la rue piétonne peu éclairée à cette heure de la nuit. Elle ne se préoccupe pas des dangers potentiels qui pourraient roder autour d'elle. Elle veut juste s'éloigner de Galeazzo Malatesta le plus rapidement possible. Mais il la suit.

– Vous avez la clé ? demande-t-il.

Évidemment que non, puisqu'elle a tout laissé au palazzo. Sac à main et manteau, d'ailleurs. Elle frissonne. L'air est frais. Il sent la pluie. À peine a-t-elle eu cette pensée, qu'une fine pluie se met à tomber. C'est le moment parfait ! À vraiment ! Parfait ! Elle a de nouveau envie de frapper quelqu'un. Elle se tourne vers Galeazzo qui la fixe l'air malheureux. L'air malheureux ? Mais qu'est-ce qu'il a ? Non. Elle ne veut pas savoir.

– Non. Bien sûr que non. Je n'ai pas la clé ! Vous le savez, non ?

– Alors permettez-moi de vous raccompagner.

– Est-ce que j'ai le choix ? réplique-t-elle en haussant les épaules et en reprenant sa route.

Il ôte sa veste et la lui met sur les épaules d'office en suivant son rythme. Elle a peut-être de petites jambes, mais elle marche très vite.

– Pas question ! Je ne voudrais pas être accusée de vous avoir contraint à vous balader en bras de chemise par une nuit pareille. Imaginez que vous attrapiez un rhume ! On m'accuserait sans doute d'avoir tenté de porter atteinte à votre inestimable personne ! dit-elle en lui redonnant la veste.

– J'insiste.

– Gentleman, hein ? Mais non. Je ne veux plus rien devoir à votre famille.

– C'est ridicule ! s'exclame-t-il en la contraignant à s'arrêter. Tout ceci est ridicule !

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant