Elle est tellement mortifiée. Tu parles d'une diversion ! Elle s'est retrouvée au cœur du maelstrom. Comme elle déteste ça ! Mais en y réfléchissant bien, ce qui a été le pire après les mots blessants d'Alessandro, c'est le gloussement de cette dinde de Francesca !
Brusquement, Céleste prend conscience qu'elle ignore où elle se trouve. Trop occupée à fuir, elle n'a pas fait attention en sortant de la salle à manger. Et ce palazzo est immense. Elle n'a pas l'habitude de ce genre d'endroit. Elle est une fille de banlieue, de petits appartements exigus et surpeuplés, de cours sans soleil, et de dangers cachés à l'ombre de tours gigantesques. Ici, elle est comme un poisson hors de l'eau. Elle n'est pas dans son élément. Elle peine à survivre. Et elle déteste le constater. Elle déteste avoir été mise dans cette situation. En cet instant, elle déteste les Malatesta. Y compris Giuseppe et Olimpia.
Sentant venir une colère froide, elle ouvre la première porte à sa droite. Il faut qu'elle s'isole et se calme.
Il s'agit d'une bibliothèque. Et quelle bibliothèque ! À l'aune de tout le reste : voitures puissantes et encombrantes, habitation démesurée, bibliothèque magnifique !
Les rayonnages de bois massif s'alignent sagement le long des murs. Sauf au sud où une large porte-fenêtre donne sur le jardin enveloppé d'obscurité. Le manteau de la cheminée est surplombé de photos encadrées. Quelques fauteuils ont été disposés de manière à vous inciter à vous asseoir.
Elle a conscience de son impolitesse à rester dans cette pièce dans laquelle elle n'a pas été invitée. Mais demeurer seule un court instant dans l'espace silencieux et confiné du lieu, est ce dont elle a besoin avant de rejoindre l'arène dans laquelle la famille Malatesta discute avec force. Y a-t-il un sujet sur lequel ils sont d'accord ? Y a-t-il une limite à l'invasion intime dont il font preuve à son égard ? Céleste en doute fortement.
Distraitement, elle se met à parcourir du bout des doigts une rangée de dos en cuir. Elle s'arrête sur un volume. Une histoire de la région par un auteur qu'elle ne connaît pas. Debout devant le rayonnage, elle commence à lire un chapitre consacré à la période qui l'intéresse. Absorbée par sa lecture, elle n'entend pas qu'une autre personne est entrée.
– Vous comptez juste le lire ou le voler ?
Surprise, Céleste manque de faire tomber le volume et peste avant de le remettre à sa place.
– Vraiment très malin ! Et subtil ! Il aurait pu s'abîmer en tombant ! s'exclame-t-elle. Et pour votre gouverne, je ne suis pas une voleuse de livres ! Je les étudie ! finit-elle en se tournant vers Galeazzo souriant qui se tient près de la porte... fermée.
– Je plaisantais.
– Charmant. Je ne dois pas goûter votre humour. Mais je suis française...
– Et les françaises n'ont pas d'humour ?
– Pas le vôtre, en tout cas.
Les réponses sèches de la jeune femme contrarient Galeazzo. Depuis leur conversation dans la voiture, il a réfléchi. Les observations de Céleste sur leurs différences sociales l'ont blessé. Ce genre de préoccupations ne l'anime absolument pas quand il est en sa présence, ni en présence de qui que ce soit d'ailleurs. Il ne s'est jamais considéré comme supérieur parce qu'issu d'une famille aisée. À aucun moment, il ne s'est même posé de questions sur le milieu d'origine de la jeune femme. Pour lui, elle est simplement française. Mais dans la voiture, il a compris qu'il en est autrement pour elle. Elle a une conscience aiguë de cette différence sociale, et a très mal interprété chacune de leur discussions. Il faut dire qu'il n'a pas fait beaucoup d'efforts pour dissiper les doutes tant il a été désagréable.
Sauf que durant le voyage, il a aussi pris conscience d'autre chose. Il ne peut expliquer son malaise uniquement par le sourire de la jeune femme. Il y a autre chose. Une autre chose qu'il n'a pas encore eu ni le temps, ni l'envie d'explorer.
Toutefois, parce qu'il veut se montrer sous un autre jour, il est venu s'assurer que tout va bien. Qu'elle ne s'est pas blessée en ramassant les bris de porcelaine. Et surtout, qu'elle n'a pas pris trop à cœur les remarques, qu'il juge déplacées, de son père.
Mais voilà que face à elle, et son manque d'enthousiasme évident en sa présence, il a juste envie d'être désagréable. Comme elle.
– En tout état de cause, vous ne devriez pas être ici, dit-il d'un ton sec.
– Pour une fois, je suis bien d'accord avec vous ! réplique-t-elle parfaitement consciente qu'ils ne parlent pas de la même chose.
– Je voulais dire : dans cette pièce.
– Voyez plus grand, M. Malatesta ! Je n'ai rien à faire ici, tout court ! Et je suis sûre que vous ne me contredirez pas ! C'était une très mauvaise idée de venir ! dit-elle en s'avançant pour sortir.
Galeazzo se déplace juste assez pour se trouver devant le double battant. Il n'a pas vraiment réfléchi. C'est venu de manière instinctive. Il ne veut pas qu'elle parte en pensant qu'il ne veut pas d'elle au palazzo. Il ignore encore pourquoi. Ou plutôt, il ne veut surtout pas savoir pourquoi. Mais une chose est sûre, il veut qu'elle reste avec lui. Ici. Il veut encore parler. Dissiper les malentendus, même si, manifestement, il a du mal à savoir comment faire avec elle.
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Romance à l'italienne
ChickLitÉtudiante française, Céleste vient d'arriver en Italie, prête pour une année d'étude dont elle a rêvée. Elle est prête à tout donner pour revenir auréolée de succès. Mais c'était sans compter la famille Malatesta. D'abord la fille cadette, Olimpia q...