Romance à l'italienne

7/ Alea jacta est !

Pourquoi a-t-elle dit ça ? Elle n'a absolument pas les moyens de rembourser quoi que ce soit à ce Galeazzo Malatesta ! Et même si, à l'évidence, il n'a pas apprécié d'être dérangé en plein travail pour aider une inconnue - il le lui a fait comprendre de la plus claire des façons -, ça ne se fait pas d'enguirlander quelqu'un qui vient de vous rendre un service, même à contrecœur.

Céleste est mortifiée. Elle a essayé de ne pas perdre son sang-froid. Ça a été plus fort qu'elle. Ce type l'énerve au plus haut point, avec ses grands airs. Et ce regard sombre ! Il en joue pour intimider les autres, elle en aurait mis sa main à couper ! Mais bon, elle doit s'astreindre à ce qu'elle a dit, elle le remboursera ! Même si elle espère surtout ne plus jamais revoir Galeazzo Malatesta.

Pourtant, il s'agit de ne pas se brouiller avec l'aîné alors qu'elle va côtoyer sa sœur et sa grand-mère durant les mois à venir. Sans compter que les deux autres frères ont été vraiment très gentils avec elle, discutant, blaguant.

Giuseppe a un an de plus qu'Olimpia, donc 22 ans, comme Céleste. Il suit les pas de son frère pour intégrer l'entreprise familiale. Giambattista, à 18 ans, est encore au lycée. Dernière année. Il ne semble pas trop inquiet pour les examens, convaincu qu'il n'aura aucun mal à réussir. Céleste n'en doute pas non plus alors qu'elle le connaît à peine. Il se dégage de lui une telle assurance ! Encore plus que chez ses frères et sœur. Le privilège des familles qui n'ont aucun problème, sans doute.

Une chose est sûre, ils sont tous très élégants, très beaux, et ils se ressemblent tous les quatre de manière frappante. Même visage harmonieux, même regard sombre, même carnation mate, même cheveux noirs souples et soyeux. Même sourire. Et même corps athlétique. Sauf peut-être Giuseppe qui est un peu plus massif que ses deux frères. Pas encore pilier de rugby, mais s'en approchant.

Le contraste avec elle est saisissant, elle s'en doute. Sans parler de son goût immodéré pour les couleurs vives, pas toujours raccords, ses cheveux sont d'un blond sable presque blanc, sa peau d'une pâleur à faire passer Blanche-neige pour une fille bronzée, ses yeux d'un bleu virant au gris. Fine et sans forme, elle pourrait dire qu'elle a une silhouette androgyne si elle avait été un peu positive face à son miroir. Mais elle ne l'est pas. Alors elle est simplement plate comme une planche à pain. Rien pour elle. Et c'est en se trouvant entourée de beaux gosses comme les Malatesta qu'elle s'en rend particulièrement compte. Parce que le reste du temps, elle s'en fiche. Elle a d'autres priorités. Comme réussir ses études.

D'ailleurs, elle doit arrêter de rêvasser. Elle n'est pas là pour écosser les petits pois. Seule dans sa chambre, elle commence à ranger ses affaires. Elle entend les bribes d'une conversation animée dans le couloir. Des rires. Des pas. Et elle se demande brièvement combien de temps, elle va mettre à se réhabituer au bruit. Pendant un mois et demi, seule avec elle-même, le silence a été comme son ombre. Un compagnon inévitable. Agréable ? Elle en jugera dans quelques jours. Peut-être devrait-elle attendre un peu avant de rendre les clés de l'autre appartement ?

Elle hausse les épaules. Alea jacta est ! Il faut boire le vin tant qu'il est tiré ! Et profiter du moment présent ! Elle attrape les quelques livres qu'elle a amenés avec elle depuis la France et les dépose soigneusement sur le bureau. Elle a dû abandonner le reste dans des caisses soigneusement empilées dans un coin de la chambre de ses frères. Avec toutes ses affaires. Ça a été difficile de choisir quoi prendre avant de partir... mais finalement, l'essentiel est là. Elle ajoute les dictionnaires dont elle se sert pour traduire les documents qu'elle étudie et quelques livres de référence.

Elle sort de sa besace, le numéro que Daniela, du bureau des étudiants, lui a donné. Une société utilise chaque année des jeunes pour faire le ménage de locaux professionnels. Ça serait parfait.

Céleste fait le tour de la chambre en souriant. Tout est à sa place ici. Oui, alea jacta est.

Alea jacta est.