26/ Une famille impossible à éviter, impossible à détester

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Brandissant son arme improvisée, Céleste surgit dans la cuisine en jurant comme un charretier dans une multitude de langues. C'est une de ses manies. Quand elle a peur, ou est très en colère, elle utilise tous les jurons en langue étrangère qu'elle connaît.

– Porca miseria, cavalletta ! Mais qu'est-ce qui te prend ?

Nonna Gianna brandit un rouleau à patisserie plus grand que son bras maigre. Elle a les mains et les avant-bras couvert de farine. Son tablier est légèrement de travers et son visage est stupéfait. Le tableau est saisissant.

Céleste abaisse ses bras avec la porcelaine des toilettes. C'est lourd ce truc !

– Est-ce que c'est le couvercle de la chasse d'eau ? demande Gianna avec un sourire en coin.

– Oui. J'ai eu peur. J'ai cru que quelqu'un c'était introduit dans l'appartement pour vous voler.

– Me voler ? Ah ! Ah ! Ah ! J'aimerais bien voir ça ! Aucun petit cambrioleur de noël ne s'en prendrait à Gianna Malatesta, ma cavalletta. Aucun d'entre eux...

– Pourquoi ?

– Mais parce que ce sont tous des Malatesta ! dit Gianna en riant aux éclats.

Elle trouve sa blague hilarante. Céleste un peu moins. Est-ce seulement une blague ? Ou la famille Malatesta compte-t-elle vraiment des « cambrioleurs de noël », comme les appelle Gianna ?

– Assieds-toi, j'ai préparé des douceurs.

– Qu'est-ce que vous faites là, nonna ? soupire Céleste en se laissant tomber sur la première chaise venue.

– Qu'est-ce que je fais là ? Mais tu le vois bien ! Je te prépare des douceurs.

– Vous devriez être au palazzo avec les autres Malatesta.

– Tu veux dire, les autres têtes d'enclumes ? Certainement pas, cavalletta. Tu sais qu'ils ont osé dire que ça n'était pas grave lorsque Maria à cramé involontairement la volaille qui devait mijoter toute la nuit... pas grave ! Ah ! Des têtes d'enclumes ! Je l'ai toujours dit !

– Mais c'est votre famille. Et c'est noël, ce soir.

– Raison de plus pour ne pas te laisser seule, cavalletta.

– Non. Nonna. Je ne peux pas vous laissez faire ça. Je ... je ne mérite pas que vous restiez ici avec moi...

– Basta cosi, piccolina. Ton cœur est blessé. Et on ne laisse pas un cœur blessé seul pour noël ! Ce serait pêcher ! Grandement ! Dieu ne me le pardonnerait pas ! C'est sûr. Et moi, je veux le Paradis, raggazzina. Le Paradis, rien de moins !

Céleste sourit. Elle ne relève pas la mention à son cœur blessé. Nonna Gianna a raison. Elle a bien le cœur blessé, même si elle n'en identifie pas encore toutes les raisons, ni comment elle pourrait y remédier.

– Ahhh ! Mais quel sourire ! Quand tu souris comme ça, ça réchauffe mon vieux cœur ! On dirait un ange ! Bon, un ange qui serait tombé dans une bassine, mais un ange quand même.

Céleste prend conscience qu'elle est toujours enroulée dans sa serviette de bain, les cheveux gouttant et le couvercle de la chasse d'eau à ses pieds.

– Je vais m'habiller.

– Bonne idée ! Vai ! Et range ma porcelaine !


Lorsque Céleste sort de sa chambre pour rejoindre Gianna, elle tombe nez à nez avec Olimpia. La jeune italienne ne lui laisse pas le temps de dire un seul mot, elle la serre dans ses bras en s'excusant mille fois, avec une exagération touchante impossible à repousser. Céleste lui rend son étreinte. Elle prend plaisir à enfouir son nez dans sa chevelure soyeuse. Elle réalise que quitter sa nouvelle amie dans les circonstances mélodramatiques de la veille l'a touchée plus qu'elle n'aurait pensé. Que la quitter définitivement serait sans doute difficile, voire hors de portée.

– Ben... Et moi ? dit une voix masculine teintée d'amusement.

– C'est pas vrai ! Giù ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce vous faites tous là ? s'exclame Céleste stupéfaite

– Tu croyais pouvoir nous voler nonna Gianna sans qu'aucun Malatesta ne réagisse ! Dans tes rêves !

– Je n'ai pas volé Nonna ! C'est elle qui...

– Je te charrie, Celestina ! Viens là !

Joignant le geste à la parole, Giuseppe attrape Céleste par le bras et l'enlace avec force.

– Tu n'essayerais pas d'en profiter, des fois, dit alors la française en riant.

– Un peu. Mais bon, tu as des choses à te faire pardonner !

– Quelque unes, oui.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant