22/ Affrontement direct. Aucun vainqueur.

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Éclairée par la pleine lune, elle marche en jurant comme un charretier sur ce foutu chemin plein de trous. Mais rien ne l'arrêtera ! Elle en a marre de cette famille qui souffle le chaud et le froid sans arrêt ! Qui la méprise ! Elle en a marre de leurs grands airs ! Elle ne comprend pas l'intérêt d'Olimpia ! Elle doit éviter la séduction facile de Guiseppe ! Elle ne comprend pas la contrariété de Galeazzo ! Elle déteste la beauté flamboyante de Francesca ! Elle n'accepte pas ce mépris de riche qui s'invite sans cesse dans les conversations. Il n'y a bien que nonna Gianna de sympathique. Elle aurait bien aimé se réfugier dans la cuisine à ses côtés, mais elle a été incapable de trouver cette pièce dans le palazzo ! Alors elle est sortie. Elle a vu le chemin. Et sans réfléchir plus – si elle avait réfléchi, elle serait rentrée prendre son manteau -, elle est partie.

Elle sait qu'ils ont roulé plus d'une heure pour arriver jusqu'ici. Mais il doit bien y avoir un bus de ligne au bout du chemin... il y a toujours un bus pour aller quelque part dans ce foutu pays !

Toute à sa colère, elle n'entend pas immédiatement la voiture qui roule au pas derrière elle. Phares éteints. La lune est pleine et le ciel dégagé. Galeazzo n'a pas besoin de lumière pour suivre le chemin. Et puis, il ne veut pas l'effrayer. Dès qu'il aperçoit sa silhouette, il s'arrête et sort du véhicule.

– Mlle Melville, cessez de faire l'idiote ! Montez, je vous ramène.

Encore ce ton condescendant ! Elle ne se retourne même pas et continue.

– Céleste ! Montez dans cette putain de voiture ! crie-t-il brusquement en tapant sur le capot, furieux qu'elle s'entête à l'ignorer et étonné de s'énerver aussi rapidement. Ça ne lui ressemble pas.

Le cri de rage arrête immédiatement la jeune femme. Elle se retourne, et dans cette semi-obscurité teintée par la lune, ses yeux sont comme des coulées d'argent. Elle vient vers lui d'un pas déterminé.

– Je ne vais pas monter dans cette « putain » de voiture ! s'écrie-t-elle en pointant un doigt vers son torse. Je ne vais pas vous suivre non plus ! Je n'obéis pas aux ordres, moi ! Et certainement pas aux vôtres ! Vous n'êtes pas content ? Moi non plus ! Je vais prendre un bus et rentrer à Sienne. Dès demain, je me trouverai un autre logement. Vous n'entendrez plus parler de moi ! Et moi, de vous et de votre fichue famille !

Sur ces mots, elle repart sur le chemin d'une démarche toujours aussi ferme.

– Porca miseria ! Et vous allez faire comment pour payer ce bus ! Votre sac est au palazzo !

Céleste s'arrête de nouveau. Elle baisse la tête un court instant et reprend sa marche en lançant un « je ferai du stop ». C'en est trop pour Galeazzo. Il s'élance derrière elle, lui attrape le bras et la force à s'arrêter.

– Mais vous êtes complètement folle ! Faire du stop ! En pleine campagne ! À cette heure ! Et dans cette tenue ! Vous voulez mourir !

– Qu'est-ce qu'elle a ma tenue ? Elle ne vous plaît pas ma robe ! Ça m'aurait étonnée !

– Montez.

– Non ! Pas question ! Je fais encore ce que je veux ! crie-t-elle en se dégageant brutalement de sa poigne.

– Mais c'est pas vrai ! Vous êtes une vraie tête de mule ! Non ! Vous êtes pire qu'une mule ! Une mule serait plus saine d'esprit ! Montez ou je vous fais monter moi-même !

– Essayez pour voir ! Je ne me laisserai pas faire ! Cazzo ! Je ne suis pas une de vos poules de luxe ! Vous ne m'impressionnez pas !

Céleste se fait brièvement la réflexion qu'elle est peut-être allée trop loin. Mais elle est si en colère que sa pensée est aussi fugitive que celle concernant son manteau au moment de son départ.

Galeazzo se frotte les yeux, comme il le fait à chaque fois qu'il est excédé, donc assez régulièrement en présence de Céleste. Il s'oblige à respirer profondément pour ne pas faire ce qui lui vient à l'esprit en cet instant : la prendre à bras le corps, la balancer dans le coffre et l'y laisser jusqu'à ce que mort s'ensuive, ou l'étreindre et l'embrasser fougueusement avant de la prendre sur la banquette arrière comme un vulgaire étudiant sans autre opportunité.

– Très bien, Mlle Melville, parvient-il à dire en la fixant avec une intensité qui la trouble. Que vous me détestiez à ce point me stupéfait, mais ça n'est pas pour moi que vous devez revenir. Vous avez laissé Olimpia seule. Elle était en larmes au moment de mon départ. Quant à nonna Gianna, elle s'inquiétait beaucoup. C'est d'ailleurs elle qui m'a envoyé.

– Gianna vous a envoyé? Pourquoi vous a-t-elle envoyé, vous ? murmure Céleste soudain désarçonnée.

À la mention de nonna Gianna, la colère de la jeune femme est tombée d'un coup. Elle a déjà compris que la vieille italienne n'apprécie pas quand Céleste est fâchée avec ses petits-enfants. Mais, même si Galeazzo en fait partie, la jeune femme pense avoir été claire sur les relations qu'elle a avec lui. Ou plutôt les non relations.

Brusquement, la jeune femme sent avec acuité le froid vif qui l'environne. La colère lui a tenu chaud, comme à chaque fois que ça lui arrive. Parce qu'elle connaît bien l'état dans lequel elle est. Aujourd'hui on la dit impétueuse, mais quand elle était enfant, on la déclarait colérique, car il lui arrivait de s'emporter brusquement pour un détail parfois futile. Ensuite, elle culpabilisait pendant des heures parce que ses paroles avaient dépassé ses pensées. Ça fait très longtemps que ça ne lui est pas arrivé. Mais cela fait aussi très longtemps qu'elle ne s'est pas sentie acculée comme un animal pris au piège. Elle a donc quelques circonstances atténuantes...

– Je ne vais pas revenir au palazzo.

– Très bien, je vous ramène à Sienne, alors.

– Mais...

– Il n'y a pas de mais. On y va. Et si vous ne montez pas de votre plein gré dans cette voiture, je vous jure que je vous y mettrai de force ! Est-ce clair ?

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant