– Sans le vouloir, ils ont mis le doigt sur quelque chose que je ne veux pas voir. Tu sais, comme lorsque l'on découvre un endroit douloureux de son corps et que l'on évite de le toucher par la suite. Et puis soudain quelqu'un appuie à ta place. Non seulement, c'est extrêmement douloureux, mais c'est aussi très vexant. Et je ne parle même pas du fait que ce soit des personnes plutôt favorisées par la vie qui aient appuyé. Le type de personne que je n'aime pas fréquenter. Le type de personne que j'évite naturellement d'habitude.
– Ah ! Non seulement ça n'est pas sympa pour moi, mais en plus, tu es une vraie snob, ma parole !
Céleste n'a jamais été traitée de snob. Jamais. Mais à bien y réfléchir, c'est exactement ce qu'elle est. Elle qui déteste justement toute ces richards qui méprisent les autres, elle se rend compte qu'elle se comporte comme eux. Elle n'en est pas encore à les mépriser cependant. Quoique... Pia a raison. Décidément, ces Malatesta ont le chic pour la mettre face à ses erreurs !
Toutefois, cette fois, au lieu d'en éprouver de la colère, Céleste ressent un étrange soulagement. C'est comme si une digue en elle venait de céder. Un mur qu'elle a érigé, et qui lui interdisait de se mêler à des personnes qu'elle repoussait obstinément parce qu'ils avaient eu plus de chance qu'elle, vient de s'écrouler. C'est particulièrement étrange. Elle voit enfin que Pia n'a jamais eu pitié d'elle. Ne l'a pas aidée par charité ou en pensant qu'elle faisait une bonne action pour soulager sa conscience. Et surtout ne l'a jamais méprisée, ni prise de haut.
Pia a été là pour elle, parce qu'elle éprouve une véritable amitié. Ce qui lui parait totalement improbable tant elles sont différentes. Et pourtant, elles sont sur ce lit à se parler franchement, à tenter de s'affranchir des barrières qui les ont empêchées d'être de véritables amies. Céleste se rend bien compte que ces barrières ont presque toutes été érigées par elle. Alors, elle force le barrage un peu plus.
– Moi aussi, j'ai des frères un peu pénibles... Plus jeunes.
– Combien ?
– Deux. Des jumeaux.
– Des jumeaux ! Oh ! La galère ! Et ils sont où ?
– En France, avec notre mère. Mon père est parti quand j'avais 15 ans. J'ai vraiment ouvert les yeux le jour de son départ. Il était tout pour moi. Un héros. Un ami. Un père. Ça ne l'a pas empêché de m'abandonner. Comme mes frères. Comme ma mère.
– Ça a dû être dur.
– Autant que de perdre sa mère, je suppose, dit Céleste en se tournant vers Pia et en lui prenant la main.
La jeune italienne baisse un instant la tête.
– Ma mère est morte dans un accident de voiture. Seule. On ignore si elle l'a fait exprès. Enfin, c'est comme un secret inavouable. Tu vois. Parce qu'il n'y avait rien qui aurait pu provoquer cette sortie de route à cet endroit. Alors...
– Tu avais quel âge ?
– 7 ans.
– Giambattista en avait...
– 4. Oui. Il n'a pas de souvenir d'elle. Seulement des souvenirs fabriqués à partir de ce que nous lui avons raconté.
– Elle vous a abandonnés...
– Elle a abandonné le monde entier. Et si mon père déteste autant la psycho, c'est parce que ma mère était suivie, mais que ça ne l'a pas empêchée de se tuer. Il ne comprend pas que, parfois, le fardeau est trop lourd.
– Pia ! Ne me dit pas que tu as ce genre de pensées, toi aussi ! Tu ne peux pas penser que...
– Non. Mais si j'étudie la psychologie, c'est pour tenter de comprendre. Pour tenter d'aider ceux qui n'arrive pas à sortir la tête de l'eau. Ceux qui se noient sans raison apparente.
Céleste serre la main d'Olimpia. Tant de grandeur dans une si jeune femme, la touche. Elle comprend que son amie souffre aussi. Elles échangent un sourire.
– Ça ne m'explique toujours pas pourquoi tu détestes autant ma caste de privilégiés ! s'exclame Pia avec amusement.
– C'est un peu ... c'est une question d'éducation, je crois. Jusqu'à mes 15 ans, je n'ai pas réalisé réellement que je venais d'une famille modeste. Je vivais avec des enfants de familles comme la mienne. Il n'y avait pas de marqueur social entre nous. Nous étions tous logés à la même enseigne. J'avais été élevé dans l'idée que pour s'en sortir, il fallait travailler dur et ne jamais lâcher prise, mais je n'avais pas réalisé que j'allais devoir m'y mettre fissa. Quand mon père est parti, je me suis pris un mur. J'ai ouvert les yeux sur le désastre qui m'entourait. Sur le champ de bataille qu'était devenu notre vie. Je voyais ma mère galérer... J'ai compris que je ne voulais pas ça pour moi. Je voulais plus.
– C'est du Zola...
– C'est ça... petite privilégiée...
– Ok. Tu voulais plus et ...
– Et j'ai obtenu plus, mais en bataillant sans cesse. Et en côtoyant des gens comme toi, qui n'ont jamais eu de soucis d'argent et qui savent qu'ils peuvent compter sur leur famille. Je crois que j'étais ...
– Jalouse ! Tu es jalouse ! C'est pas beau ça ! Ahhh ! Vraiment, Mlle Melville, je suis outrageusement déçue !!!
Céleste rit devant le visage de tragédienne scandalisée qu'affiche Olimpia.
– Je trouvais ça tellement injuste. Tu n'imagines pas ! Ma mère m'a toujours dit que je me battais contre des moulins à vent ! Alors je pense que ma décision de partir, c'était un peu ma manière d'arrêter de me comporter comme Don Quichotte... Et puis, je vous ai rencontrés...
– Et les moulins à vent sont réapparus.
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Romance à l'italienne
ChickLitÉtudiante française, Céleste vient d'arriver en Italie, prête pour une année d'étude dont elle a rêvée. Elle est prête à tout donner pour revenir auréolée de succès. Mais c'était sans compter la famille Malatesta. D'abord la fille cadette, Olimpia q...