Irène va vider son verre dans l'évier de sa cuisine. Elle rebouche la bouteille de vin. Elle s'en servira pour cuisiner. Si elle y pense. Elle ouvre le frigo, envisage de grignoter un truc, renonce. Elle a même la flemme d'attendre devant le micro-onde. Pas le moral. Pas d'envie. La chambre semble la meilleure option, ce soir.
D'ailleurs, son chat a déjà eu la même idée, puisqu'il ne traîne pas dans ses pattes pour réclamer de la nourriture, pour une fois. Le fourbe a déjà dû s'installer au milieu du lit. Ou sur son oreiller. Alors qu'il a une couverture rien qu'à lui sur ce fichu lit ! Mais non ! Il n'y met jamais la patte ! Che cazzo de chat ! Encore une bonne idée, tiens !
Elle pensait avoir un peu d'affection en le prenant chez elle. Niente ! Il mange, fait ses besoins, dort. Et quand elle s'avise de s'approcher pour le caresser, il lui jette un regard du genre : « essaye pour voir ». Encore une vraie réussite affective !
Irène vérifie que la porte d'entrée est fermée, éteint les lampes du salon et remarque avec étonnement la luminosité qui vient de l'extérieur. Elle retourne aux fenêtres. En face, le loft, jusqu'ici vide et inhabité, est éclairé.
Tiens !
Un couple apparaît. Un homme. Une femme. Ils s'enlacent fougueusement. Elle le voit porter sa partenaire jusqu'à la banquette. Ils s'y effondrent, et commencent à s'effeuiller en se caressant, en s'embrassant... ça devient très chaud, là !
Irène ne bouge pas. Elle se prend pour James Stewart dans Fenêtre sur cour de Hitchcock. Sauf qu'elle n'a pas besoin de jumelles, la rue permet un beau panorama de la scène de sexe en cours. Pourtant, c'est pas son genre d'espionner les autres. Mais là ! C'est tellement... Oulala ! C'est qu'ils commencent à lui donner des envies, les bougres ! Elle qui n'a pas eu de relation de ce genre depuis plusieurs mois ! Ça ne se fait pas d'exposer sa débordante vitalité sexuelle comme ça !
Irène soupire et se résout à allumer une lampe dans le salon. La plus brillante pour signaler à ceux qui s'envoient joyeusement et sensuellement en l'air dans ce magnifique et spacieux loft que l'immeuble en face n'est pas inhabité.
Elle jette de nouveau un œil. L'homme est face à la fenêtre, une sorte de plaid ceint autour des reins, tandis que la fille file vers ce que Irène pense être la chambre. Il fait un geste qu'elle n'interprète pas sur le moment – un bonjour ? -, et va rejoindre sa compagne de jeu.
Irène soupire de nouveau et part se coucher.
Elle pense à toutes ses histoires ratées. Entendons-nous bien. Il n'y en a pas eu tant que ça. Mais suffisamment pour qu'elle commence à se poser des questions. Est-ce sa faute si elle refuse de rester avec un type qui ne lui convient manifestement pas juste pour éviter la solitude ? Elle suit son credo : « mieux vaut être seule que mal accompagnée ». Elle a vu trop de couples mal assortis se déchirer. Ce qu'elle veut elle, c'est l'amour ! Une vraie midinette !
Et donc, elle est seule. Avec son chat. Autant dire, aucune affection et encore moins de sensualité.
Définitivement pas une héroïne. Et peut-être même pas un second rôle.
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Fenêtre avec vue
ChickLitIrène Manoukian est une jeune femme banale. De son point de vue. Abonnée aux histoires sans lendemain et au second rôle auprès de son amie Louisa qu'elle adore, elle mène une existence tranquille. Qui lui va. Qui lui va vraiment ? La réponse ne lui...