17/ J'enrage de ton absence

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Plus de dix jours se sont écoulés depuis leur soirée fille. Irène ne répond plus aux appels de Louisa le soir. Ne répond pas non plus aux messages. Pas sûr qu'elle les lise. Elle ne prend même plus la peine de venir dire bonjour le matin. Elle fait un vague signe de loin. On dirait un coureur de fond. Elle est loin du monde qui l'entoure. Trop profondément enfouie.


Louisa doit réfléchir à une stratégie pour sortir son amie de là. Elle mange seule sur un banc du square à côté du bureau quand elle voit arriver Salvatore Conti.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— De quoi parlez-vous, monsieur Conti ?

— Vous savez très bien ? Où est Irène ?

— Avec Mlle Flore Vintanier, votre dernière conquête !

— Hé ! C'est Mlle Manoukian qui m'a demandé de... m'occuper de Flore !

— Bel euphémisme !

— Ok. Je me la tape. Mais franchement...

— Et bien, vous pouvez arrêter, parce que c'est pire pour Irène. Flore l'a dans le collimateur de toute façon. Votre bel et grand effort ne sert à rien. Elle est en train de la démonter pièce par pièce. Bientôt il ne restera rien de Mlle Manoukian. À moins de réagir rapidement. Et je n'ai malheureusement pas assez d'influence dans l'agence pour arrêter le massacre. Surtout qu'Irène ne m'y aidera pas.

— Pourquoi ? Pourquoi Irène se laisse faire ?

— Pour deux raisons : passif familiale et obstination professionnelle.

— Ok, dit-il avec un air contrarié qu'elle ne lui connaît pas.

Il a l'air furieux. Mais pas contre elle. Contre lui-même. A-t-il des remords de n'avoir pas compris plus tôt ce qui était en train de se passer ? Il se lève et s'apprête à s'en aller quand Louisa lui pose une dernière question.

— Vous lui voulez quoi à Irène, exactement ?

Il fixe Louisa, mais ne répond rien.

— Si vous lui brisez le cœur, vous êtes un homme mort, capisce !

— Vous êtes italienne aussi ?

— Par mon père. Et si je ne suis pas aussi sanguine qu'Irène, je peux faire de votre vie un enfer.

Conti sourit et part. Louisa soupire. Elle sait qu'elle n'est pas aussi convaincante qu'Irène quand elle menace les gens. Elle sourit trop en règle générale, et puis son regard est trop clair. Elle n'a rien de son père, le ténébreux Antonio Rossi qui a séduit la belle Magda Meier. Il faudra trouver autre chose pour faire comprendre à Conti qu'elle est sérieuse. Lui envoyer Giovanni ?


Conti revient au bureau pour sortir Irène de sa prison, mais quand il s'approche, elle le voit à travers la vitre et lui signe un « dégagez ! » sans sourire, avant de replonger les yeux sur ses écrans. OK. Explication de texte ce soir.

Quand, il rentre enfin au loft – parce que oui, il bosse aussi ! -, il fixe obstinément les fenêtres masquées depuis plus de dix jours. Au début, ça l'a fait sourire. Il a pensé sincèrement que sa voisine voulait un peu d'intimité parce qu'elle avait peut-être rencontré un homme, ou envisageait d'en rencontrer un.

Pris dans ses propres relations amoureuses, et dans son travail, il n'avait pas compris l'urgence de la situation. C'est le manque et l'absence qui a éveillé ses soupçons.

Il est contrarié mais pas tant contre Irène que contre Flore qui est en train de leur pourrir la vie. Bon. Il va falloir trouver un autre moyen de communiquer. Le téléphone.


Au dixième appel manqué et dixième message en dix minutes, Irène éteint son téléphone. Casque sur les oreilles, elle est devant son écran. Elle veut finaliser ce sur quoi elle a travaillé toute la journée avec Flore. Elle veut que demain, dernier jour de la semaine, le dossier soit enfin bouclé. Le client doit passer lundi. Il faut que ce qu'elle peaufine soit parfait, pour que Flore puisse ajuster au mieux le dossier de présentation. Irène pense sincèrement qu'elle est au bout. Elle n'a pas vraiment dormi depuis plusieurs jours. Elle se nourrit désormais de pain de mie pris à même le sachet. Boit des litres d'eau pour faire passer les cachets qui la maintiennent debout. Elle aura fait son max.

Deux heures plus tard, elle va se chercher de l'eau fraîche dans le frigo. Elle a fini. Les documents sont envoyés. Elle a tout sauvegardé sur clé et sur le cloud. Elle est parée pour le lendemain.

Fenêtre avec vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant