40/ Sans un mot

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Le dimanche a été vite expédié finalement. Irène est revenue épuisée de son jogging. Une douche chaude et quatre tranches de pain de mie plus tard, elle s'est effondrée sur son lit en petite culotte et tee-shirt, les cheveux encore humides, et aucun plan pour son avenir proche.

Et évidemment, elle s'est réveillée avec une faim de loup et une envie de pisser effarante vers deux heures du mat. Incapable de se rendormir sans soulager au moins sa vessie, elle s'est levée et a fini dans la cuisine, devant le paquet de pain de mie qu'elle avait laissé ouvert toute l'après-midi, et dont les tranches avaient séché. Pathétique.

Irène aurait bien appelé Louisa, mais bon, à cette heure indue de la nuit, elle doit dormir ou faire l'amour comme une sauvage. Il vaut mieux ne pas tenter le diable, car dans un cas comme dans l'autre, elle sera furieuse de voir apparaître le nom d'Irène Manoukian sur son écran de téléphone.

Elle prend une tranche de pain de mie rassie, résignée, se tourne vers le loft plongé dans l'obscurité et soupire.

Une silhouette fantomatique se tient devant les larges baies vitrées. La fille aperçue la veille.

« Pas sommeil ? » signe-t-elle.

Ben merde alors ! Elle sait signer aussi ? C'est qui cette nana ? Est-ce bien raisonnable d'engager la conversation avec elle, sachant comment ça se passe avec Conti ? Peut-être est-ce une future collègue ? Peut-être est-ce la fiancée officielle de Conti ?

Bon. d'un autre côté, elle a vu et connu pire comme situation. Elle ne va pas se laisser abattre parce qu'elle n'est pas capable de choisir si oui ou non elle va saisir une opportunité pro qu'elle n'a pas voulue !!! Et puis, cette fille ne l'a pas agressée ? Elle a seulement posé une question.

« Faim » répond-elle.

« Vous mangez de l'éponge ? »

Irène regarde sa tranche de pain de mie. Rigole un bon coup.

« Non. Pain de mie ultra rassie ! Ça peut effectivement servir d'éponge, au besoin ! »

« Mon frère avait prévu de vous faire à manger hier matin... Le frigo est plein de trucs... Je peux venir ? »

Son frère ? Irène oblitère totalement le projet avorté de Salvatore Conti qui aurait pu lui paraitre inopportun. Elle est trop stupéfaite. Quand elle reprend ses esprits, la fille a disparu. Elle réapparait en bas de son immeuble avec un sac en papier dans les bras, traverse la rue. Au bout de quelques minutes, elle est derrière l'œilleton. Irène ne sait pas quoi faire sur l'instant. Elle ne songe même pas à s'habiller. Elle ouvre, l'œil rond et le cheveu en bataille – la rançon d'un sommeil de plomb avec les cheveux humides.

« Merci » signe d'abord l'inconnue avant de hocher la tête. « Giorgia »

Irène voit que Giorgia Conti est comme son propre frère Alessio, sourde-muette. Ceci explique cela.

« Irène. Mais tu ne vas pas me faire à manger quand même ? »

« Non. Moi j'apporte juste les trucs, toi, tu te débrouilles. »

Irène sort du sac des fruits frais, dont une barquette de fraises, des œufs, un drôle de petit pain rond et du fromage. Du fromage ! La jeune femme le déballe aussitôt, sort un couteau et se coupe une généreuse tranche de ... elle ne sait pas quoi, mais ça sent super bon.

Giorgia s'est assise sur un tabouret face à elle. Elle sourit en picorant des fraises.

« Je fais du café ? Ou tu préfères du jus de fruit... » demande Irène.

« Du café, merci »

Tout en s'activant – coupage de pain, de fromage, de bananes, mise en place de la poêle pour les œufs – elle discute avec Giorgia, cette sœur dont Conti n'a encore jamais parlé.

« Alors comme ça tu es la sœur du tombeur d'en face. »

« Du tombeur d'en face et patron, si j'ai bien compris. »

« Ouaip. Mais ça, ça risque de changer si je n'accepte pas la proposition qu'il m'a faite »

« Quelle proposition ? » signe Giorgia très intéressée et un sourire canaille sur les lèvres.

« Pas de ce genre-là » signe à son tour Irène en rigolant.

« Vraiment ? »

« Oh ! Oui ! Pas son genre. Par contre, au boulot... Il m'a... non. Lui et son associée m'ont proposé quelque chose. »

Giorgia a plissé les yeux. Elle ne sourit plus. Irène remarque la ressemblance avec son frère. La forme des yeux. La bouche. Mais pas la couleur de cheveux, ni des pupilles. Salvatore Conti est brun aux yeux bleus. Sa sœur est châtain très clair et a les yeux verts. Irène ne dirait pas qu'elle est belle. Plutôt magnétique. Cette façon de vous regarder. Intense. Comme si à défaut de vous entendre, elle cherchait à percer le secret de votre âme en vous scrutant attentivement.

« Tu n'as pas envie d'accepter ? Pourquoi ? »

« C'est compliqué »

Fenêtre avec vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant