62/ Tromper l'ennemi

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— Bordel ! Qui a fait entrer cette femme dans mon bureau ?

— Monsieur Conti ? Il y a un problème ? demande Irène qui passe justement par là à ce moment-là.

— S'il y a un problème ? Oui ! Il y a un problème ! Je ne peux pas accéder à mon bureau ! Pas tant que cette femme s'y trouve.

Irène penche un peu la tête le long de la cloison derrière laquelle ils sont tous les deux cachés. Elle voit la femme et se redresse vivement pour se remettre à l'abri des regards. Elle sent la présence de Conti derrière elle. Elle aime cette promiscuité hasardeuse. C'est bien tout ce qu'elle peut avoir de lui pour le moment. Elle le sait.

— Jolie. J'ai l'impression de l'avoir déjà vue quelque part... Ah ! Oui ! Il y a quelques temps dans votre appartement ! La psy qui s'est jetée goulûment sur vous ! Quel est le problème ?

— La psy ? répète-t-il incrédule avant de reprendre sérieusement. Ah ! Ah ! Très drôle, Mlle Manoukian !

Elle va pour repartir avec ses dossiers. Après tout, ça n'est pas son problème. Elle n'est pas l'assistante de Conti. Mais il la retient.

— Irène, aidez-moi ! C'est une ex. Une ex que j'ai revue par hasard la semaine dernière, et j'ai...

— Replongé ?

— Oui ! Mais bon, c'était comme ça... mais elle pense que nous allons nous remettre ensemble... il faut qu'elle sorte...

— De votre bureau ou de votre vie ?

Conti regarde Irène avec curiosité. Elle est heureuse d'encore arriver à le surprendre.

— Vous avez une idée ?

— Oui. Mais après, elle va vous détester.

— J'en ai rien à foutre qu'elle me déteste. Au contraire... elle ne m'enverra plus de message... ni de photos...

— Des photos ? répéta Irène avec un petit sourire.

— Oui... On va éviter d'en parler. Alors cette idée ?

— Tenez-moi ça, dit Irène en lui mettant sur la poitrine les dossiers qu'elle avait dans les bras.

Ensuite, elle déboutonne deux boutons de sa chemise, réajuste son décolleté, désormais plongeant. Se pince les joues. Se mord les lèvres. Retire le crayon qui retenait ses cheveux en un chignon plus qu'improbable. Et prend la tasse fumante qu'il avait jusqu'à présent dans les mains. Elle regarde ses pieds. Ça ne va pas. Elle cherche des yeux Louisa. La trouve. Lui envoie un message. Louisa accourt immédiatement, se déchausse, lui tend ses escarpins aux talons vertigineux et récupère les baskets de Irène.

— Ça va ? Est-ce que je suis maintenant le genre de fille qui pourrait vous intéresser pendant une soirée, M. Conti ? demande-t-elle en le fixant un bref instant.

À voir la surprise sur son visage, la réponse doit être affirmative. Elle n'attend pas et part vers le bureau de Conti à grandes enjambées - et ce malgré les talons - en balançant outrageusement son bassin. Elle n'a pas l'habitude de porter de telles chaussures, mais elle s'en sort. Louisa lui a toujours dit que c'était une question de confiance. Alors. Elle se convainque d'être la fille la plus séduisante de l'agence.

— Bonjour madame, dit-elle en entrant avec un petit air charmant de gamine effrontée.

D'expérience, elle sait que les femmes de l'âge de la visiteuse détestent celles qui leur donnent du « madame ». Et bingo ! Celle-là ne fait pas exception. Son visage se fige et une méchante grimace passe fugitivement sur ses lèvres peintes de rouge carmin. On dirait qu'elle vient de sucer du sang.

— Je peux vous aider ?

— J'attends M. Conti.

— Oh ! Et je peux savoir de quoi il retourne. Je suis son assistante.

— Son assistante ?

— Oui, je suis son assistante personnelle...

Irène insiste sur le mot « personnelle » en posant une fesse sur le bord du bureau et en buvant une gorgée de café. Elle se retient de grimacer. Il est noir et sans sucre. Elle l'aime avec de la crème et beaucoup de sucres. Beaucoup, beaucoup de sucres.

— Personnelle ? répète la femme lentement en détaillant la jeune femme qui lui sourit.

— Et vous ? Vous êtes... ?

— Personne, répond la visiteuse en se redressant.

Elle est raide et crispée. Elle se retient de se mettre en colère. Ça se voit. Mais Irène ne peut s'empêcher d'en rajouter. Elle a promis qu'il n'entendrait plus parler d'elle.

— Ah ! Personne... Mais vous venez à son bureau... C'est que vous connaissez bien... Salvatore ? Bien à quel point ? Parce qu'il est important pour une assistante de connaître ce genre de détail. Surtout avec un homme tel que M. Conti. Il s'agirait que je ne fasse pas de bourde ! Je tiens à mon poste... J'aime beaucoup M. Conti. C'est un patron très attentif et attentionné... très attentionné.

Irène sait qu'avec son petit sourire en coin et ce qu'elle vient de dire, l'autre n'a plus aucun doute sur la relation qui unit le patron et l'assistante. Elle fixe la visiteuse avec dans les yeux une assurance incroyable et élargit son sourire.

L'inconnue serre son sac et sort sans un mot de plus. Elle ne se retourne même pas. Et elle n'attend pas l'ascenseur. Elle prend direct les escaliers. Elle est furieuse. Sûre qu'elle doit déjà être en train de composer un message salé à Conti...

Fenêtre avec vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant