Namjoon avait compris. Il avait compris pourquoi la mère des deux jeunes garçons était un sujet tabou et, plus encore, il avait compris pourquoi ils tenaient tant à leur magasin : en une seule phrase, l'innocence de Taehyung avait fait croire à Seokjin que parce qu'il ne s'y était pas rendu, il avait perdu l'être qui lui était le plus cher. Le jeune homme devait probablement avoir conscience qu'il s'agissait d'une banale superstition, pourtant il ne pouvait pas s'en défaire, si bien qu'inconsciemment, il avait intégré l'idée qu'il devait s'y rendre tous les jours s'il ne souhaitait pas voir se produire une nouvelle catastrophe. Ça expliquait son attachement pour ce travail, à la fois sa passion et sa condamnation.
Seokjin se moucha une nouvelle fois. Les bras entourant son corps, il se frictionna lui-même pour se réchauffer un peu, alors même qu'il avait froid non au corps mais au cœur. Son ami hésita, mais de nouveau il décida de le prendre dans ses bras, de le réconforter comme un adulte réconforterait un enfant. De nouveau, Soekjin n'opposa aucune résistance, il se laissa aller, il abandonna le combat contre ses propres émotions qu'il déchargea dans l'étreinte de Namjoon.
Chaque année il pleurait seul, de peur que Taehyung ne soit bouleversé. Les premières années, surtout, il n'avait pas voulu que son cadet voie la mort de leur mère comme une tragédie dont il fallait se lamenter. En tant que grand frère, il ne voulait pas voir Taehyung pleurer. Alors il avait toujours sangloté loin de lui, à l'écart. Devant Namjoon, cependant, c'était différent. Il pouvait se dévoiler, mettre son cœur à nu sans craindre de blesser le sien.
Il n'aurait jamais imaginé que ça puisse lui apporter un tel réconfort.
Son grand-père leur parlait parfois d'elle. Son père... il n'avait plus parlé pendant des années, après la mort de sa femme : il s'était renfermé, il s'était éloigné de ses fils, et il avait fait passer la douleur en travaillant de son réveil à son coucher. Seokjin en avait profondément souffert, et avec Taehyung, le magasin était devenu leur échappatoire, à la fois un moyen de résurrection pour la mémoire de leur mère, et un moyen de penser à autre chose qu'à leurs malheurs – étonnant paradoxe.
Un instant, Namjoon huma l'odeur de la chevelure de Seokjin, qu'il trouva enivrante et douce à la fois, pareille à un véritable bonbon. Ça lui donnait presque envie de l'embrasser encore...
Quelques minutes plus tard, consolé, l'aîné avait repris sa boîte de nouilles et les terminait tranquillement, non sans jeter quelques regards à son cadet par moments, discrètement. L'autre s'en rendait à peine compte, concentré pour sa part sur sa tasse de thé qu'il sirotait. Il était distrait, songeant à tout et rien, à ses parents qu'il critiquait parfois mais qu'il était heureux d'avoir à ses côtés dans les moments difficiles : même s'il n'appréciait pas la pression qu'ils lui mettaient, il savait qu'il pouvait compter sur eux et se confier (tant que ça n'avait pas de rapport avec le travail).
« Hyung...
- Oui ?
- Ça va ? »
Seokjin se tourna vers lui, visiblement surpris par la question. Il en comprenait tous les sous-entendus, mais ça le surprenait. La question était simple, pourtant, basique même, mais on la lui posait si peu souvent... On ne lui demandait jamais s'il allait bien. Est-ce qu'il allait bien ? Bonne question, effectivement.
« Je sais pas, » admit-il.
Namjoon lui offrit un sourire qui prouvait son soutien, et il le laissa terminer son dîner avant de reprendre.
« Tu veux aller dormir maintenant, ou...
- On pourrait regarder un film ? Juste... un truc pour passer le temps, un peu.
- Si tu veux. On reste ici ou on va ailleurs ?
- Dans la chambre ? proposa Seokjin.
- Ça marche. »
Sans trouver le courage de s'occuper de la vaisselle, ils se rendirent dans la pièce de l'aîné, aussi grande que Namjoon l'avait imaginé : il s'agissait d'une belle chambre à la décoration sobre et dont l'élément principal était ce grand lit encore défait, face à un long bureau désordonné où était posée une télévision.
Les deux garçons s'installèrent sur le matelas, où Seokjin avait abandonné sa télécommande, et le jeune homme alluma l'écran puis, par un réflexe qui fit sourire son ami, il ouvrit Netflix. Une ribambelle de suggestions s'afficha, et chacun se tourna vers l'autre pour l'interroger du regard. Quelques instants après, il fut décidé qu'ils regarderaient un film de Noël : bercé par le réconfort que lui apportait cette fête, Seokjin avait bien envie d'en voir un, d'autant plus que son grand-père, grâce à sa femme, avait découvert bon nombre de classiques américains qu'il avait lui-même montrés à ses petits-enfants – des classiques que Namjoon, même en deux ans dans le pays, n'avait jamais regardés.
Une demi-heure après le début du film, environ, ils s'étaient tous les deux endormis.
VOUS LISEZ
Le magasin de Noël [Namjin]
Fanfiction[Terminé] Fils du propriétaire d'une immense chaîne de magasins de Noël, Kim Seokjin est un grand amoureux des fêtes, passion qu'il partage avec son petit frère Taehyung. Or quand, une semaine avant Noël, il apprend que son père a revendu l'œuvre de...