Chapitre 36

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Si Seokjin détestait se montrer épuisé au point d'à peine pouvoir avancer seul, il dut néanmoins reconnaître que ça lui avait sauvé la mise, pour ce coup-là, si bien qu'une fois seul, il ferma les yeux et se laissa porter dans un monde qui n'appartenait qu'à lui. Les couleurs, les odeurs et les sons lui échappaient en même temps qu'ils formaient une suite illogique dans son esprit. Namjoon, Taehyung, le magasin, Noël : tout se confondait de manière brumeuse, comme enveloppé d'un voile onirique juste assez opaque pour l'empêcher de saisir l'incohérence de sa rêverie.

Son premier réflexe en ouvrant les yeux fut de jeter un œil à l'heure : deux heures moins dix. Il n'avait pas dormi trop longtemps, mais il se sentait beaucoup mieux. Motivé et de bonne humeur, il quitta aussitôt son confortable fauteuil pour retourner à sa caisse, conscient qu'une personne de plus ne serait sans doute pas de refus.

Toutefois... un songe souleva le cœur de Seokjin qui, alors qu'il avançait en direction des caisses, rebroussa chemin pour se rendre à la place au rayon librairie. Le calme y régnait, comme à l'accoutumée, mais... il résonnait par-dessus ce calme les échos d'une voix que le jeune homme connaissait bien et qui, ces derniers temps, avait tendance à provoquer des frissons sur sa peau.

Comme convenu, Namjoon s'était fait conteur : assis en tailleur au milieu d'une ribambelle d'enfants attentifs au moindre de ses mots, il enchaînait les histoires depuis bientôt une heure. Les petits se passionnaient pour les mondes qu'il leur ouvrait, les plus grands retrouvaient l'âme de leur première enfance, et quelques adultes profitaient également des merveilles qui naissaient à travers les pages. La voix grave mais douce et posée du co-manager avait le don d'envoûter quiconque l'entendait, et c'était loin de surprendre Seokjin.

Taehyung également était doué d'une voix similaire – ce qui avait tendance, selon son frère, à toujours surprendre, car son physique frêle et presque enfantin contrastait avec ce timbre particulièrement bas. Un bref instant, Seokjin s'amusa à les comparer : Taehyung et Namjoon baissaient peu à peu la voix jusqu'à chuchoter dans les moments où l'histoire indiquait que la nuit était tombée, sombre et silencieuse. Sans le savoir et malgré leurs mots innocents, leur ton, lui, n'était pas dénué d'une certaine sensualité qui, quand il s'agissait de Taehyung, laissait Seokjin parfaitement insensible, mais qui, maintenant que c'était au tour de Namjoon de parler, lui remuait l'estomac de manière alarmante.

Il était bel et bien amoureux de lui, et ce petit moment le lui confirmait. Petits et grands étaient suspendus à ses lèvres, quant à Seokjin il désirait plus que tout s'en emparer, de ses lèvres, mais ça, hors de question de se l'avouer. D'ailleurs... elles formaient un si joli sourire, un sourire bordé de deux fossettes pareilles à deux marques tracées par la lame indolore du bonheur. Son regard pétillait ; dans l'obscurité pénétrante de ses prunelles étincelaient les mêmes étoiles qu'il décrivait aux enfants, lumineuses dans le ciel hivernal de la nuit qui précédait Noël.

Il était tout simplement fascinant.

Songeant qu'il valait mieux qu'il file apporter son aide à ses collègues qui en avaient besoin, Seokjin se ressaisit et fila au rez-de-chaussée. Il y prit son poste, retrouvant immédiatement tout son professionnalisme tandis qu'il adressait un sourire commercial mais sincère aux clients qui affluaient déjà auprès de lui, les bras chargés de cadeaux, de décorations, ou bien de nourriture – voire les trois à la fois.

Efficace comme il l'avait rarement été, le jeune gérant du magasin faisait habilement défiler les articles sur le tapis qui ne cessait de rouler, et il songea que son sommeil s'était révélé salutaire : il débordait d'énergie, à présent ! Il lui semblait qu'il lui poussait des ailes.

Les minutes laissèrent place aux heures, qui devenaient à leur tour de plus en plus floues jusqu'à disparaître : concentré sur son travail, enfermé dans sa bulle, Seokjin ne voyait plus le temps passer, et il ne gardait que deux choses à l'esprit : son métier et son ami. Des réflexes professionnels qui dissimulaient les songes les plus intimes. Ainsi, bien que rapide, Seokjin demeurait dans la lune, et s'il ne commit aucune faute, ça se lisait cependant sur son visage qu'il rêvassait.

Tant qu'il était efficace, pourquoi s'en inquiéter ?

Ce qu'il imaginait ? Les lèvres de son ami contre les siennes, sa voix qui lui murmurait des mots tendres, d'étranges situations qui pourraient les amener tous deux à révéler des sentiments réciproques. Parfois aussi, son imagination s'emballait, et tout basculait : des aveux dans son bureau, la veille de Noël, alors qu'il ne restait qu'eux dans le magasin. Des rougeurs, des sourires, puis un baiser timide. Leurs deux bouches qui se laissaient aller, puis leurs mains qui devenaient curieuses, et les bruits des baisers qui se transformaient en soupirs tandis que peu à peu ils se défaisaient de leurs vêtements – et le torse brillant de Namjoon, ciel ! –, ensuite...

Ensuite Seokjin revenait à lui et se maudissait de se figurer des choses aussi salaces avec son collègue qui n'avait rien demandé. Si Namjoon savait tout ce qu'il imaginait, il serait sans aucun doute furieux – et il aurait raison. C'était dégradant de l'imaginer s'abandonner si facilement, lui qui était pourtant quelqu'un de réfléchi. Seokjin n'y pouvait rien, malheureusement : dans ces moments, son esprit s'emballait et il assistait, impuissant, aux films qui défilaient sous ses yeux mais qu'il ne contrôlait pas.

Il tenta de recentrer son attention sur sa caisse.

Le magasin de Noël [Namjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant