Chapitre 10

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Namjoon se laissa guider, et très timidement la conversation reprit une fois les deux garçons hors du bureau.

« Tu as quel âge ? s'enquit Seokjin, déterminé à faire des efforts.

— Vingt-trois, et toi ?

— Vingt-cinq.

— Tu as fait quelles études ? Plutôt dans le marketing ?

— J'ai arrêté les études à dix-huit ans. Mon grand-père me formait depuis l'enfance, et tous les deux on préférait que j'apprenne sur le terrain plutôt que dans une université qui m'inculquerait des savoirs que je connaissais déjà ou bien qui s'avéreraient inutiles.

— Je trouve qu'on apprend beaucoup, à l'université, lui opposa Namjoon.

— Certes, mais pas dans mon domaine, et pas avec toute l'expérience que j'avais déjà. J'aurais appris uniquement du superflu, je savais déjà tout ce qui m'était nécessaire.

— Tu travaillais beaucoup dans ce magasin, alors ?

— Après l'école, quand les autres allaient aux cours du soir, moi j'allais au magasin. J'y passais mes week-ends, j'y faisais mes devoirs, et dès que j'avais des vacances c'était là que je venais. »

Seokjin avait levé les yeux vers le plafond du couloir qu'ils traversaient. Sa voix était teintée non plus de méfiance ou de froideur, mais bel et bien d'un indubitable bonheur. Namjoon comprit un peu mieux la réaction de son interlocuteur lorsqu'il avait prétendu que les personnes riches étaient nécessairement attirées par le côté matérialiste de Noël : il se tenait devant quelqu'un pour qui les fêtes étaient plus précieuses que tout. Seokjin avait grandi entouré de Noël, sa famille sans aucun doute lui avait inculqué cette passion dévorante qu'il nourrissait encore aujourd'hui et dans laquelle elle le soutenait.

Pas étonnant, donc, qu'il se soit vexé.

Or, comment Namjoon aurait-il pu deviner que ce vendeur au style sobre voire négligé dissimulait en vérité le petit-fils du président-directeur général d'une immense chaîne de magasins, un garçon riche et brillant. Namjoon s'était attendu à faire face à un jeune homme élégant, tiré à quatre épingles et aux cheveux soigneusement peignés.

« Et toi, reprit Seokjin, tu as toujours voulu bosser dans l'entreprise de ta famille ?

— Pas exactement, mais je me suis plié à leurs exigences, de sorte à les rendre fiers. J'avais un don naturel pour les chiffres et, pour être honnête, je m'intéressais quand même un peu aux ventes, aux bénéfices. J'aimais bien les jeux de gestion, et accompagner mon père dans son travail, c'était comme un jeu grandeur nature. C'est pour ça qu'après le lycée, j'ai été à l'université : moi aussi j'avais de solides bases, des tas de choses apprises sur le terrain, mais dans mon domaine, il me fallait nécessairement passer par les études supérieures pour bien saisir tout ça malgré sa complexité. Ça m'a beaucoup plu, d'autant plus que j'ai eu l'opportunité d'aller aux États-Unis, ce dont je rêvais. C'était vraiment cool. »

Seokjin glissa un regard à son co-manager tandis qu'ils arrivaient dans le magasin. Ça se sentait que le jeune homme était passionné par son travail, et si ça n'avait peut-être pas toujours été le cas, au moins il avait su y trouver son compte. Pas étonnant, pour quelqu'un d'aussi fasciné par les chiffres, de finir par développer un certain matérialisme – et dire que Seokjin n'aimait pas faire de généralités... Ils se ressemblaient un peu, finalement : il brûlait en eux un feu dévorant qui les avait menés à tout donner pour devenir ceux qu'ils étaient aujourd'hui.

Seokjin respectait profondément cette détermination

« On y va ? s'enquit Namjoon.

— Ouais.

— On commence par quoi ?

— On va faire dans l'ordre : rayon décoration. »

Son collègue acquiesça avec un sourire que Seokjin devina forcé, pour autant il ne fit pas la moindre remarque et se contenta de l'inviter à le suivre. Il ne leur restait qu'une porte qui les séparait du magasin, et le jeune propriétaire se sentit étrangement anxieux lorsqu'il posa la main sur la poignée.

Namjoon était déjà venu : aucune surprise, aucun émerveillement ne le prendrait aux tripes. Rien ne créerait chez lui cette étincelle féérique, son cœur ne s'emballerait pas. Aucune émotion... et ça dérangeait Seokjin. Pourquoi ? Aucune idée, lui-même ignorait en quoi il était si important pour lui que son magasin fasse naître une quelconque émotion chez ses clients. Et pourtant, ça comptait, ça comptait vraiment.

Il y avait quelque chose dans cette fête qui lui paraissait vital... et il refusait de se rappeler ce qui l'avait amené à un besoin si désespéré de magie.

Le magasin de Noël [Namjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant