Prologue

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Aristote

La cohue des culs-terreux a laissé des traces spongieuses dans la boue fraîchement abreuvée ; y serpente un écheveau de sillons rouges. Par le Saint Chromé, ça brillerait presque dans les vestiges de soleil ! Je joue à saute-mouton entre les cadavres et les flaques.

Mais tu ris ?

Ouais, je ris. Les raids me font toujours c't effet-là. Va savoir, p't-être une façon de chasser les mauvais souvenirs ; les fantômes.

Les villageois se sont réfugiés dans un baraquement. Leurs vieux tromblons explosent dans des bruits de pétards mouillés. Vaslow fait le tour avec un bidon d'essence, Rex suit avec une torche et moi je pousse la chansonnette.

— Au feu, les pompiers, v'là la maison qui brûle !

Pauvre mansarde... Ta petite charpente de bois tout sec, si fragile crépite, grésille, crisse et — BOOM — s'effondre !

Hahahahahahahah... C'est comme cette fois-là où...

Non.

Hahahaha... Mais si ! Il leur a détruit la cervelle, moulu les neurones en purée. Sans même les toucher ! Rien qu'en plissant des rides sur son front ! Il pouvait. Il avait le don. Ils sont tous tombés. Des fétus de paille balayés par le vent. Zou ! Comme ça. Puis, l'odeur de brûlé s'est mêlée au sang. La maison du maire flambait, et lui avec. Haha ha ha...

Arrête, Ari.

Je me détourne de l'incendie.

Par le Saint Chromé, l'enfer doit ressembler aux idylles de la Terre Promise à côté du carnage que les Rafales des Dunes viennent d'essaimer. Quelques cris résonnent encore dans mes tympans. Les gars déchargent leurs AK sur les dernières poches de résistance. Puis, le silence.

La colonie est à nous. Pour ce que ça vaut.

Sous un ciel de plomb, les champs de tubercules s'étirent jusqu'à l'horizon où s'enfuit le soleil. Les pathétiques tuteurs décharnés s'alignent en rang d'oignon, fiers de leur parure végétale flétrie.

Le sol se meurt ici aussi. Comme nous.

Tout ça pour ça...

L'eau, la bouffe. Le nerf de la guerre dans un monde qui en a eu sa claque d'accueillir des parasites. Est-ce qu'on aurait besoin de tuer si on avait... ?

Arrête, Ari. Zilla t'a demandé d'effectuer une tâche simple.

C'est vrai. Les vivres vont pas se trier tous seuls, hein ? J'suis leur cuistot ! Ces ventres mous peuvent pas se débrouiller sans ce bon vieil Ari.

Où pourrait bien se trouver la réserve parmi les trois taules encore debout au sein de cette farce de village ? Je repère le plus grand des bâtiments, le plus faste ! La planque du proprio de l'exploitation agricole.

Au moment où je m'en approche, Grimm le traîne justement hors de ses pénates, vers la nasse de prisonniers attendant sagement leur exécution.

Le bougre ferait presque peine à voir avec sa chemise déchirée et son nez tuméfié. Presque ! S'il s'était pas rabaissé à supplier pour sa vie.

— Pitié, ne me tuez pas ! J'ai un secret pour vous.

Ma paupière tressaute. Un tic nerveux habituel et manifeste de ma curiosité. Je m'arrête devant le spectacle, fasciné par les derniers sursauts d'un homme.

— Parle alors, et on verra si ça mérite qu'on te laisse en un seul morceau.

Je connais Grimm depuis suffisamment d'années pour savoir ce que ce rictus jauni veut dire : épargner une vie ne fait pas partie de son vocabulaire. Le type pourrait promettre de le couronner maître de l'univers, sa machette finirait quand même le travail.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant