60 - La cité des fantômes

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Sara

Le soleil se détache de l'imposante silhouette de la ville-colline et poursuit sa course dans le ciel. Un jour comme les autres. Pourtant, la pression est à son comble.

Delvin, Selmek, Talinn et les trois Alters nous ont quittés il y a trois heures. Depuis, notre convoi se tient au garde-à-vous. Camouflés derrière la dune, nous guettons. Nous ignorons combien de temps il nous faudra maintenir cette vigilance. Nous leur laissons une semaine. Ce qui est déjà énorme ! Plus les jours défileront, plus Madolan aura de chance d'imposer son influence à notre groupe, réduisant à néant nos espoirs d'intrusion.

Et si rien ne se passe au bout d'une semaine ? Il nous faudra abandonner et repartir à Dulaï Nor. Une éventualité que je doute Zilla capable d'accepter. Il escaladera la barrière ou creusera dessous jusqu'au centre de la Terre s'il le faut, mais il ira chercher Os. Pour l'instant, l'espoir est encore permis. Alors, nous attendons.

J'ai revêtu un plastron de cuir pour l'occasion. J'ai dit que je tenais à participer à la bataille. Wolf a accepté, même si je sais que ça l'obligera à concentrer ses efforts pour veiller sur moi. L'armure de fortune me tient chaud. J'ai l'impression d'étouffer. J'en appelle à toute la foi que cette série d'aventure aura attisée en moi. J'essaye d'oublier la mort de Tengri, celle d'Hector, celle de mon bébé, celle de Marika. J'essaye de me convaincre que toutes ces épreuves ne nous ont pas menés ici sans raison.

Comme à chaque fois que je sens l'angoisse sur le point de me terrasser, je me tourne vers celui qui sert de pilier à ma vie.

Wolf n'a pas l'air plus confiant que moi. Il tente de s'apaiser en jonglant avec deux grenades.

— Tu es nerveux ?

— Je n'aime pas ça, mon soleil, admet-il en reposant les engins explosifs.

— Tu as peur que la barrière ne s'ouvre pas ?

— Au contraire, j'ai peur qu'elle s'ouvre.

Je détaille avec étonnement sa mine renfrognée, bougonne sous ses rouflaquettes drues. Ses yeux sombres croisent les miens.

— J'ai l'impression qu'on ne sait faire que ça, ajoute-t-il. Piller des villes, saccager, tuer... Nous avons été et nous sommes toujours des barbares.

Je n'ai pas songé à voir les choses de cette manière. Pourquoi mon mari s'embarrasse-t-il de scrupules maintenant ?

— Os dit que l'imposteur tient les habitants sous son joug. On va les libérer ! Comme à Orgö.

— Je ne sais pas... Est-ce vraiment ce que veut son dieu ?

Ses doutes me font perdre pied. Non, Wolf, pas maintenant ! Pas alors que nous sommes si près du but ! Ne remets pas en question tout ce que nous avons accompli jusque-là !

— Dieu ? Tu parles de ce tyran qui se fait passer pour tel ? m'exclamé-je en me souvenant des paroles de ce Madolan, la dernière fois que nous nous tenions devant cette barrière.

— Non, Os dit que les visions lui ont été envoyées de quelqu'un d'autre, d'autre part...

— Et ce quelqu'un d'autre, ce dieu, nous a envoyés ici pour une raison. Or, si ce n'est pas combattre, qu'est-ce ? Ce n'est pas comme si la ville nous avait accueillis... Elle nous a même rejetés, sans ménagement ! Nous avons raison de faire ce que nous voulons faire.

J'essaye de calmer mon cœur battant d'anxiété. Wolf le perçoit et finit par m'attirer vers lui pour me rassurer d'un tendre baiser. Quand nos lèvres se détachent, je remarque un changement sur la barrière. La pellicule de stries bleues vient de s'évanouir.

— C'est ouvert. On y va ! clame Zilla, trépignant d'impatience.

Ce n'est plus le moment de se poser des questions et Wolf semble d'accord avec cela. L'action en priorité. Je m'installe au volant du pick-up blindé et carbure en direction de notre destin.

o

Fen

Bien joué, Talinn ! T'as toujours été un gars sur qui on peut compter ! Le soleil est monté au beau fixe pour admirer nos exploits guerriers. Aujourd'hui, pas de stratégie alambiquée, pas d'assaut en trois temps ou à revers, la configuration ne nous permet que de foncer dans le tas, bécanes vrombissantes. Grimm aurait approuvé. Que son âme hurle avec les chevauchées ardentes ! J'sais pas si tu nous vois de là où t'es, vieux, mais sois fier de nous. Les Rafales renaissent de leurs cendres pour le pillage ultime.

Les motos dévalent les plaines, laissant un nuage de poussière et de destruction dans leur sillage, le convoi de camions et tout-terrain suit à folle allure, mais c'est surtout le camtar du chef qui ouvre la voie. Bardé de boucliers de tôles et de métaux, il fonce comme un bélier sur les défenses ennemies. De défenses, Os nous a vendu qu'il n'y aurait pas de quoi nous faire frissonner. Ils misent tout sur leur barrière et ces cons s'interdisent les armes à feu. On va pas se priver, nous ! Côté passager, Rana, qui peut pas conduire avec sa jambe en miette, bichonne sur RPG-7 et me tance d'une œillade taquine.

— Paré pour l'assaut final, bouffon ?

— Et toi ? Pas trop frustrée de pas pouvoir te jeter dans la mêlée, grognasse ?

Elle sourit, je lui souris. Puis elle règle l'orientation du bazooka, prêt à déchaîner un joyeux feu d'artifice sur cette ville trop parfaite.

Pas de barrière pour arrêter cette bonne vieille roquette, cette fois.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant