42 - Le temple souterrain

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Yue

Kana Ariun, toi qui par ta sérénité bénit nos rêves et ses traces dans l'éveil, j'implore ton pardon. Par mon parjure, je sais que je ne pourrai plus rejoindre ton royaume onirique, mais prends pitié de mes sœurs qui ont bravement accompli leur acte de réparation. Pour elles, qui n'ont jamais eu dans leur cœur une once de doute pour ta clémence, je te prie d'accompagner leurs âmes qui ne se sont jamais laissées corrompre par Kâal. Je déposerai une fleur d'ancolie sur leur linceul afin que tu puisses reconnaître les errances de celles qui ne t'ont pas trahie. Louée soit ton être pur et tes songes enivrés.

Seule dans l'antichambre, éclairée par la lueur parcimonieuse de quatorze bougies, je me redresse avec raideur. Les fourmis dans mes membres engourdis me rappellent que je suis restée à genoux bien trop longtemps. Mes prières se sont éternisées.

Alors que je ne suis plus digne de les adresser.

Je porte mon regard sur les quinze corps de mes anciennes consœurs recouvertes d'un drap. Je ne suis pas affligée par la vue de leur cadavre. Mon calvaire a été bien plus éprouvant lorsque j'ai vu ces hérétiques égorger trois d'entre elles.

Je dépose, comme promis, une fleur d'ancolie sur chaque linceul et m'attarde plus que de raison devant celui de Naran. Ma compagne de cœur, celle que j'ai initiée à nos rites, celle à qui j'appris les meilleures attitudes pour honorer notre déesse et celle que je trahis aujourd'hui.

Pardon, je ne te rejoindrai pas tout de suite.

Machinalement, comme à chaque fois que la détresse m'étreint, je porte ma main à mon poignet, là où est enroulé le chapelet, et triture ses vingt-quatre perles d'agate. Prise d'une illumination en réalisant que je risque de contaminer la parure sacrée avec les affres de Kâal, je m'empresse de le retirer et de l'enfouir dans le creux de la paume de Naran.

Je referme ses doigts sur les perles et les embrasse tendrement. J'éprouve un étrange malaise face à son corps. Peut-être parce que je ne suis pas aussi anéantie que je devrais l'être. La pestilence du démon m'a-t-elle déjà contaminée ? Je frémis et recouvre le visage de Naran en tirant sur le drap d'un geste sec.

En réalité, j'étais perdue bien avant que les bandits n'arrivent.

Deux jours et six heures avant leur raid, j'ai reçu un message divin. Un message d'une autre divinité que Kana. J'en suis persuadée quand je repense avec dégoût à la vindicte et l'autorité imprégnées dans cette vision. Kana ne se serait jamais adressée à moi de cette façon. Elle aurait délicatement penché sa tiare aux cent-vingt épines sur mes songes pour y saupoudrer quelques mots énigmatiques et éthérés.

Tandis que le message de ce dieu païen imprimait ses directions sur mon être. Rends-toi là-bas ! criait-il. Et j'étais incapable de résister à cet appel. Oui, je suivrai cette volonté.

Alors, même si ces huit hérétiques ne m'avaient pas violé dix-sept fois, je n'aurais pas pu réparer cet affront de ma vie. Le mal était déjà commis. Et il s'est encore aggravé lorsqu'à ces contacts forcés leurs émotions et leur jubilation ont déferlé en moi, jusqu'à me noyer et me dévaster.

J'embrasse une dernière fois du regard l'imposante effigie de Kana. Je ne peux me détacher de la brûlure de ses treize yeux de grenat, qui semblent me détailler avec accusation. En revanche, le zaïmph qui recouvre sa chevelure jusqu'à ses pieds me procure plus d'apaisement. Le voile parsemé de poussière de saphir ne m'a jamais paru si sublime.

Je m'en détourne. Il est temps d'affronter ma nouvelle vie.

Mes pas volent à travers les thermes où quatre serviteurs du temple s'affairent à nettoyer les sept bassins ou à frotter les traces imprégnées dans les deux cent quarante-huit bas-reliefs gravés dans la craie. Je passe sous les neuf voutes peintes, relatant le périple des dix ouailles de la déesse à travers les neuf plans oniriques, en ayant l'impression de m'éveiller à un cauchemar.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant