68 - Le Dôme

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De retour à la maison, je bénis le fait d'être seul. Je n'aurais pas supporté de devoir affronter un personnel humain. Encore moins mon père. Je m'enferme dans ma chambre et m'effondre à même le sol. Ma respiration est haletante, une chaleur étouffante me fait suer à grosses gouttes et mes muscles sont épuisés d'avoir tenté de maîtriser leurs tremblements tout au long du trajet.

J'essaye de tendre une main pour attraper la boîte de Fentalanyl qui traîne sur mon bureau. Vide. Dépité, je la laisse tomber sur le sol avant de faire de même avec ma carcasse.

Je n'en peux plus. Ce carcan est en train de m'asphyxier. J'ai presque l'impression de voir les murs de cette chambre se resserrer sur moi. Je me roule sur le tapis comme si cela pouvait éteindre l'incendie qui ravage mon crâne.

Un écran de fumée me barre la route. Je ne parviens plus à me rappeler ce qui s'est passé le jour où le Rugen-Hoën est arrivé dans ma vie. Je me suis réveillé à l'hôpital. Mon père a parlé d'une mauvaise chute, puis de séquelles. Mais tout ceci est entouré d'un flou abominable. Je revois des détails, comme si on les avait placés là, les actions ne se raccordent pas logiquement entre elles.

Par contre, je me souviens du jour où la situation a dégénéré avec le Rugen-Hoën.

Cela faisait six mois que j'étais enfermé dans le manoir familial. Je n'avais de liens sur les réseaux qu'avec mon psychiatre et quelques professeurs qui avaient gobé cette histoire de « mauvaise chute ». Mon AI personnelle s'évertuait à me rassurer, à me raisonner, à seriner qu'il n'était pas prudent de sortir dans ma « situation ». Mon père avait programmé la commande de la porte pour que je ne puisse pas l'ouvrir. « Pour ton bien », avait-il prétexté. À bien y réfléchir, mon père s'imagine toujours agir pour mon bien.

C'est d'ailleurs ce qu'il m'a dit ce jour-là.

Il était enfin rentré au manoir et j'ai tenté de le confronter au dîner. Je pensais avoir crié quelque chose comme : « Laisse-moi sortir ! Tu ne pourras pas me garder ici éternellement ! » En vérité, maintenant que j'y songe, je crois que c'était plutôt :

— Qu'est-ce que tu m'as fait ? Qu'est-ce que tu me caches ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à le savoir ?

Il m'a giflé. Si fort, que je me suis écroulé par terre. Mon père ne m'avait jamais abreuvé d'amour, pour autant, il n'avait jamais eu recours à la violence. J'étais scié lorsqu'il m'a hurlé dessus.

— Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour ton bien ! Pour que tu ailles de l'avant, que tu passes à autre chose !

Je ne lisais rien dans son esprit. Il n'y avait qu'un trou béant, là où j'aurais dû voir ce à quoi il faisait allusion. Je ne comprenais rien et je ne comprends toujours pas. J'étais si perdu que c'est ce moment que le Rugen-Hoën a choisi pour se déclencher.

Mon père a fini hospitalisé, une intervention chirurgicale a été nécessaire et il ne s'est relevé qu'après trois jours de coma. Et moi, j'ai fini dans le TUNEL, persuadé que je n'en sortirais jamais.

Étrangement, il n'éprouve pas de rancœur vis-à-vis de cet incident. Il n'en a pas reparlé et semble même vouloir prétendre qu'il n'a jamais existé, que je ne l'ai jamais attaqué... J'ai cru qu'il me pardonnait, car j'étais son fils et qu'il était conscient qu'il s'agissait d'un accident. En réalité, peut-être qu'il pense mériter ce qu'il s'est passé. Peut-être a-t-il choisi d'enterrer l'incident et sa culpabilité avec.

Mais quelle culpabilité ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

Alors que je suis toujours étalé sur le sol, mon regard roule vers le lit en polyamide. Suffisamment surélevé pour passer un corps d'enfant, je me rappelle que ma sœur et moi jouions souvent à nous cacher dessous. Parfois, nous dissimulions quelques mots dans la trappe du contrôleur électronique. Des secrets destinés à échapper aux adultes.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant