51 - Dieu ?

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Tengri

— Poussé par le zéphyr
Tracer ou murir
La route s'étale sous nos roues
Comme l'horizon s'étire devant nous
J'entends de mes frères
Que la solidarité va de pair.
Je détale dans ma vie
Comme un songe dans la nuit
Enfant de l'abîme
Élève-toi sur les cimes
N'aie crainte, Kana
Je te rends fière par ma foi
Mes ailes me démangeaient
J'avais besoin du vent frais
Là-bas j'irai chercher mon être
Qui de mes choix sera maître
Cette brèche en demande
Se comble dans la bande
Et ce vide en dehors
Rugit avec la horde !

— Mais tu vas la fermer, Tengri ? Tu nous casses les oreilles avec ta chansonnette.

— C'est du rap, frère ! Juge pas si tu connais pas.

— Alors déjà, je ne suis pas ton frère et je sais ce que c'est que le rap, mais ton truc, là, c'est juste de la bouillie musicale.

— Et bah vas-y, rabat-joie ! Fais mieux, je t'en prie !

— Je suis certain que je sais mieux donner mal au crâne que toi. Et je n'aurais pas besoin de chanter pour ça.

— Aucune sensibilité artistique, les gars...

o

Hector

Dire que notre expédition a été une promenade de santé serait mentir.

Nous avons quitté l'étrange parc abandonné depuis quelques jours, en compagnie de nouveaux invités, au moins aussi insolites que le lieu duquel nous les avons extraits. Les steppes grisonnantes ont cédé la place à des formations rocheuses. Vils escarpements de pointes dressées au ciel qui ont fait choir leurs rejetons pierreux sur la chaussée ; un présage pour nous intimer à reculer. C'était sans compter la détermination du groupe qui s'est acharné à dégager la voie à la main ou avec les moyens du bord, pour le caprice de nos plus imposants véhicules. Il était hors de question d'en abandonner en chemin. Comment pourrions-nous espérer tenir un siège à cette ville mirage que nous chassons, si nous arrivons sans ressources ?

La difficulté de la passe montagneuse derrière nous, un nouveau désert s'étale sous mes persiennes et ébranle mon émotive sensibilité. Des déserts, j'en ai parcouru tout au long de cette vie d'errance. Des paysages détruits, fracassés par les affres du temps, des couleurs ternes sur les vestiges chaotiques et figés d'un passé qui m'échappe. Le sable n'avait rien du grain chatoyant et doré du quartz, une fois mêlé à la poussière et à la cendre d'un monde trépassé.

Ici, le désert est authentique. Majestueuses et imposantes, les dunes ondulent et se soulèvent comme le poitrail d'une terre vivante. La végétation éparse pique à l'affleurement du sable. Buissons bas au feuillage sec et allongé, leurs branchages se hérissent dans un réseau complexe d'épines autour d'un tronc noueux. D'autres laissent poindre à leurs extrémités d'innocentes fleurs rosées. Je ne peux m'empêcher de quérir leur identité dans ma précieuse encyclopédie des plantes : saxaoul et halimodendron argentés. Des noms qui ne servent qu'à satisfaire mon insatiable boulimie de connaissances. La flore révèle ses merveilles, dès lors qu'on y attarde son regard.

Cet endroit me fascine. Il était là avant l'apocalypse. Cette dernière a tout changé en désert, mais à peine effleuré ce lieu immuable, déjà acquis aux forces de la Nature.

Un régal pour les yeux, un calvaire pour le corps. Les températures oscillent à la limite du soutenable. Même si le gibier nous comble par son abondance, il est de l'avis commun de ne pas s'attarder en ces contrées aussi somptueuses qu'hostiles.

Hélas, la route accidentée, souvent ensevelie, ne facilite pas la progression du convoi. Étrange concept que ce chemin tracé par la messe divine et pourtant semé d'embuches. Mais je ne crois pas en Dieu. La curiosité est mon seul phare.

Nous n'aurions pas eu peur de prendre notre temps, si la sécheresse de la zone ne nous dictait pas de nous hâter sous peine de voir nos réserves fondre comme neige.

Nous avons même eu à essuyer une violente tempête qui, à son apogée, a accouché d'une tornade. Je dois avoir été le seul subjugué par le spectacle diabolique de ces volutes d'air rugissant et tournoyant au-delà desquels tout espoir de vie semblait s'éteindre. Je n'avais pas peur. Après tout, l'apocalypse a déjà eu lieu.

La trombe terrestre est passée loin de nous et le convoi, solidement arrimé dans un repli après qu'Os ait prédit le phénomène, n'a subi que des dégâts mineurs. Mais des dégâts suffisants pour que Zilla, d'ordinaire si prompt à suivre aveuglément les instructions des Alters, demande s'il n'existe pas d'autres routes plus longues, mais plus aisées.

Os a simplement répliqué « non ». Alex, le nouveau guide, a expliqué que c'est le seul chemin qu'on lui a montré et que « s'il n'est pas content, il n'a qu'à déposer sa plainte à cet abruti d'être suprême qui cherche à nous faire tuer ».

À propos d'Alex, mon étude sur le sujet des Alters m'a poussé, bien entendu, à quérir plus amples informations auprès de lui. Sa bande, constituée de deux énormes tonneaux et d'une adolescente pâle, m'a toisé d'une indifférence flirtant avec l'animosité. Je ne me suis pas démonté et ai tenté, dans un premier temps, de nouer le contact.

— Doudou, Chouchou, Bijou... D'où est-ce qu'ils viennent vos surnoms ?

Aux regards qu'ils se sont échangés avant d'éclater d'un rire vénéneux, j'ai réalisé l'échec de ma maladroite tentative d'approche. Qu'importe. J'ai fini par poser mes questions, me focalisant sur Alex, dans l'espoir de mieux comprendre son pouvoir. Il a répliqué de ce sourire taquin que je commence à connaître.

— Jouons aux cartes ! Si tu gagnes, je te dirai tout ce que tu veux savoir.

J'ignore comment je me suis retrouvé avec ces étranges figures cartonnées entre les mains ou quelles étaient les règles. Je ne suis pas étonné d'avoir perdu, je suis seulement surpris de n'en garder qu'un souvenir flou. Je ne me rappelais même plus de ce que j'avais mis en gage.

C'est au réveil que j'ai réalisé que je n'avais plus avec moi la précieuse tablette déterrée à Orgö. Paniqué, j'ai compris bien trop tard qu'Alex s'était joué de moi avec ses dons perfides. Lorsque je lui ai demandé de me la restituer, il s'est gaussé de ma naïveté et a justifié qu'il l'avait gagné « à la loyale ». Dépité, j'ai ravalé ma fierté et supplié Os d'intercéder en ma faveur. C'est finalement Zilla qui a remis les pendules de l'hypnotiseur à l'heure, décrétant que « prophétie divine ou pas, il le renverrait à coups de pied au cul dans son parc d'attractions miteux s'il s'amusait encore à jouer avec l'esprit de quiconque dans ce groupe ».

Ma précieuse relique m'est revenue et je ne suis pas retourné à l'assaut de cet Alter fourbe.

Nous sommes finalement parvenus à quitter ce terrain désertique pour des contrées plus hospitalières. La route s'est faite moins biscornue et la végétation, plus dense. J'ai retrouvé ce même pressentiment étrange qu'aux abords de Dulaï Nor. Instinct gargarisant qui s'est confirmé lorsque le brouillard dégagé a dévoilé une silhouette ocre à l'horizon.

C'est aujourd'hui. Nous y sommes.

Mosaïque vert tilleul et jaune de blé
Habille les champs d'une parure d'été
Au cœur de ces faubourgs ombragés sous les arbres
Constructions s'érigent moulées dans le marbre

Elle est là, la cité mirage
S'érige imprenable, sans âge

Tour de Babel qui griffe le ciel d'arrogance
Dans ses rues cachées se chuchotent manigances
Sur ses nobles arches traverse le savoir
Et ses chemins accueillants éveillent l'espoir

Sauf qu'entre nous et notre objectif, se dresse une barrière. Immense, infinie et infranchissable.


Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant