C'est l'accélération du vaisseau qui me réveille. J'ai l'impression d'être harnaché sur un genre de table, et même sans ses sangles, je ne pourrais pas bouger, plaqué contre cette surface par la cinétique.
Mon flanc droit me fait un mal de chien comme si quelqu'un s'amusait à essorer mes boyaux. Puis tout cesse. Le vaisseau a terminé sa phase d'accélération et je constate avec fébrilité que nous sommes en apesanteur. Au cas où je n'aurais pas compris que je suis dans l'un des vaisseaux volés, les logos de la compagnie de ma famille sont là pour me le rappeler. Je n'avais jamais quitté l'atmosphère martienne ! Si je dois mourir, je serai au moins content d'avoir connu l'espace avant.
Des gouttes de sang passent devant mes yeux étonnés. Elles s'élèvent de ma plaie pour former des bulles en suspension. Je devrais m'en inquiéter, mais ce spectacle me fascine. J'entends du bruit à ma gauche et la voix de Fen brailler dans l'intercom.
— Est-ce qu'il y a un putain de médecin sur ce vaisseau ? ... Oui ? Dites-lui de se magner le cul, alors ! On a trois blessés par balles ici !
Je voudrais pouvoir rire de nostalgie en retrouvant les habituelles invectives grossières de Fen, mais j'ai trop mal pour cela. J'avais déjà été blessé de la sorte par Grimm dans la simulation, mais la douleur artificielle est incomparable à la douleur de la réalité. Elle franchit d'ailleurs un nouveau palier lorsque Fen fait un point de pression sur ma plaie, puis place mes mains dessus pour m'intimer à poursuivre le geste.
— Utilise ce qui te reste de force pour appuyer, ok ? Je dois m'occuper des autres.
Le claquement des bottes magnétique m'indique qu'il s'éloigne. Je suis seul avec ma souffrance. Je crois que je vais encore tourner de l'œil.
Lorsque je reviens à moi, je découvre un visage familier penché sur moi. Il n'a pas ses sempiternelles lunettes cassées, mais ces yeux doux sont bien les siens.
— Talinn ? articulé-je péniblement.
Il me renvoie une œillade surprise. Il s'imagine que la douleur me fait délirer. Ce n'est pas loin d'être le cas.
— Presque. Je suis le docteur Talami. Tu as de la chance, la balle n'a rien touché de vital. Tu vas t'en remettre, mais la cicatrisation va prendre un peu de temps à cause du manque de gravité. Il faudra que tu bouges le moins possible.
Il disperse un genre de spray argenté pour colmater ma plaie. La sensation de froid m'électrise et achève de me réveiller. Je profite de retrouver un peu de mes esprits pour jeter un œil dans le sien. Je suis curieux de savoir qui est cet homme que je connais et dont j'ignore tout à la fois.
Médecin, il a été condamné il y a huit mois après avoir été accusé d'avoir commis une erreur médicale. Ce dont il s'est fermement défendu. Mais la famille de la victime avait de l'argent. Je trouve surprenant qu'il ait accepté de s'embarquer dans ce voyage aller simple pour la Ceinture. Mais c'était tout compte fait la solution la plus logique : il n'aurait pas pu continuer à exercer sa profession sur Mars, alors il espère pouvoir le faire sur Cérès.
— Comment il va ?
C'est Thor qui pose la question depuis l'entrebâillement de ce que je suppose être l'infirmerie. Que fait-il ici ? Il n'était pas prévu qu'il vienne s'exiler sur Cérès avec nous !
— Qu'est-ce que...
— J'ai bien réfléchi, répond-il en devinant ma question. La Fed aurait fini par me mettre le grappin dessus et j'aurais payé pour tous les petits malins qu'ils ne peuvent pas poursuivre dans la Ceinture. Et puis, entre nous, il paraît qu'ils font de la bonne bière sur Cérès, pas comme cette pisse de chat qu'on trouve à Saint Clair.
VOUS LISEZ
Les Chasseurs de Mirages
Science FictionDu sable et des ruines. Derniers paysages à tenir tête à l'entropie. Les Rafales des Dunes pillent, tuent et saccagent sur leur chemin, mais errent toujours sans but. À moins que l'arrivée d'Os, cet étrange prophète, ne donne enfin un sens à leur qu...