Fen
Le cul enfin posé à quelques mètres du feu de camp, je mâche sans y penser une ration de viande séchée. Je n'arrive pas à la savourer. Mes yeux rivés sur les flammes sont hypnotisés par cette danse. Je suis vidé. Littéralement. Et je ne suis pas le seul.
Les combats se sont interrompus à la tombée de la nuit lorsque la chape d'obscurité a rendu les affrontements trop compliqués. Pour autant, la pause n'est pas reposante. L'heure est au bilan.
Je retire ce que j'ai dit plus tôt : la grosse Bertha n'était pas de trop, loin de là. Sans ça, c'est probablement elles qui nous auraient roulés dessus. Faut dire, on s'attendait pas à les trouver à ce point armées jusqu'aux dents. Quant à nos stratégies habituelles, elles ont été contrées comme un jeu d'enfant par leurs défenses adaptées. Pour le coup, c'est nous qui sommes cons. Fallait bien se douter que le Nonosse les aurait préparées.
L'aile de Wolf a salement encaissé. Le brave molosse reste droit dans ses bottes, mais est quand même revenu la queue entre les jambes. La moitié de ses hommes ont été décimés et la moitié de la moitié s'est fait capturer. Grimm a été plus chanceux. Il n'a perdu que quatre de ses gaillards, pour autant, il ne faisait pas le fier non plus.
Une chose cependant a remonté son foutu sourire insolent :
— Je vous jure que je l'ai vu ! Le chef s'est barré fissa vers l'est ! Moi, je vous le dis, il s'est fait dans son froc en voyant qu'on prenait cher. S'il revient, pas de pardon pour cette lopette !
J'aurais aimé croire que Grimm racontait des salades, un récit bien accommodant pour celui qui aspire à finir calife à la place du calife. J'aurais préféré Zilla blessé ou capturé par l'ennemi plutôt que ça. Pourtant, toute la brigade rapporte le même témoignage.
C'est le monde à l'envers : Zilla qui nous abandonne et Luth qui revient, acclamé d'honneur, avec une otage. Une putain d'otage !
Avec elle et la bodybuildeuse lanceuse de grenade, ça fait deux prisonnières. Contre plus ou moins quinze, en face — on n'est pas sûrs pour le compte des morts — ce n'est clairement pas à notre avantage.
Mais dans l'autre camp aussi, ils ont perdu leur cheffe, tranchée par Zilla, à ce qu'il paraît. Maigre consolation.
En plus de ça, mon esprit ne quitte pas les brumes. Cette vision, cette ville étrange et tout ce... vert. Nous l'avons tous expérimenté, ennemis compris, au même moment. Impossible de dire combien de temps ça a duré, mais ça nous a tous profondément chamboulés. C'est sans doute ça, la vraie raison qui nous a poussés à cesser les combats.
Qu'est-ce que c'était ? D'où ça venait ? Et pourquoi ? Pour faire passer quel message ? Y'avait-il seulement un message à en tirer ? Vision réelle ou fantasme halluciné ? Tant de questions et mon intuition me souffle que le petit Os en saurait quelque chose, lui. Mais il n'est plus là.
Je pousse un large soupir puis porte ma main à la poitrine. J'avais oublié cette saloperie de blessure. Même si la balle n'a pas pénétré mon cuir de peau, elle m'aura quand même fichu un hématome assez douloureux pour marteler sa présence à chaque respiration.
Des cris aigus fusent dans mes oreilles. Grimm et sa bande, à quelques mètres, près du feu. Ces enfoirés festoient sans décence. Comme si on pouvait appeler ce fiasco une victoire. « Les morts ont besoin d'un barouf d'honneur pour rejoindre les chevauchées ardentes ! » qu'ils justifient. Peut-être bien. D'ailleurs ils pensent que la vision provient du Saint Chromé : c'est l'extinction de tant de braves combattants d'une traite qui aurait généré cette hallucination commune. Pas impossible.
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Les Chasseurs de Mirages
Khoa học viễn tưởngDu sable et des ruines. Derniers paysages à tenir tête à l'entropie. Les Rafales des Dunes pillent, tuent et saccagent sur leur chemin, mais errent toujours sans but. À moins que l'arrivée d'Os, cet étrange prophète, ne donne enfin un sens à leur qu...