Delvin
— À l'aube du monde était un fleuve. Jaillissant, poussif et gorgé, il abreuvait nos champs, nos masures et nos progénitures. Au matin, des ingénieurs, des architectes et des promoteurs ont investi le fleuve. Ils voulurent le dompter, le dériver, envahir ses berges et boire ses offrandes jusqu'à la dernière goutte. Au firmament du jour, le flot s'amoindrissait et le fleuve se mourrait d'avoir donné plus que ce qu'il ne pouvait renouveler. Au crépuscule, la source était tarie. Les cupides comprirent alors que la fin était proche. Face à leur sort inéluctable, loin de faire amende honorable, ils consommèrent jusqu'à l'implosion les fruits de leur soutirage. La nuit tomba et les hommes avec.
Les mains calleuses de Nona se lèvent et les enfants reculent de frayeur. Les ombres rougeoyantes de son visage ondulent au rythme du feu qui se consume dans l'âtre. Le rythme de sa voix profonde et gutturale donne corps à son récit. Son auditoire est captivé.
— Nous avons survécu, mais nous portons le poids de nos erreurs passées. Chaque pas que nous foulons sur cette terre sèche nous rappelle que nous ne sommes que des parasites. Nous devons payer cette dette que nos ancêtres ont laissée et qui nous incombe. Ce n'est qu'à cette condition que la Terre Promise s'ouvrira à nous.
Le souffle decrescendo marque la fin du conte de la doyenne. Aussitôt, la petite Brianna se penche, ses longues nattes frisées frottant sur Diego, son voisin, tandis qu'Annette dénoue ses jambes, prête à bondir pour harceler Nona de questions.
— À quoi ressemble la Terre Promise ?
— Comment on sait ce qu'il reste à payer ?
— Est-ce que si je donne de l'eau à une fleur, la Nature elle sera contente ?
Les pommes ridées de Nona s'élargissent en un sourire tendre devant l'enthousiasme des bambins débordants d'énergie.
La scène me plonge dans une nostalgie cotonneuse, alors que je contourne le feu pour rejoindre Marika.
Combien de fois ai-je entendu ces fables ? Je suis née dans cette colonie et j'avais l'âge de la petite Brianna quand Nona racontait déjà ses histoires. Nous avons voyagé sur une distance que je n'ose calculer, mais nous n'avons jamais trouvé la Terre Promise. Qu'importe où nous nous arrêtons, ne gisent que vestiges ensevelis sous les eaux ou le sable. Rien de plus naturel d'après Nona ; la Terre Promise se mérite. La doyenne sait enrober ses fables d'une multitude de couleurs et d'une variété de sons différents, mais la morale reste. Dette et devoir de rédemption.
En grandissant, j'ai commencé à nourrir une certaine amertume à l'encontre de ces idées. Quand je regarde les cicatrices de nos combats, nos muscles affaiblis par la faim et nos pieds cornés d'avoir tant marché, je me dis que j'ai suffisamment payé ma part et que la Terre Promise n'existe pas. Marika rigole toujours quand je lui fais part de mon pessimisme. « C'est juste pour divertir les enfants, tu sais. » Pourtant, je ne peux retenir l'impression que ces divertissements résonnent au même diapason que les religions néfastes de l'Ancien Monde.
J'attrape, auprès de Sara, une assiette garnie de viande faisandée, de tubercules et fleurs sauvages. Puis, m'assois en tailleur aux côtés de Marika. Sa fière silhouette trône sur une caisse d'armes et me surplombe. Je dévore, avant ma nourriture, les reflets des flammes sur sa peau dorée, la courbe de son crâne rasé et ses lèvres sensuelles épaisses. Elle ne peut me rendre mon regard. Elle écoute Louve ; dériver son attention serait impoli. Alors elle compense d'une main en vadrouille dans le creux de mes omoplates. Cette caresse légère électrise mes sens. J'en ronronnerais si j'étais un chat.
Je m'attaque à mon assiette en attendant que Rana, Louve et Allan mettent fin à leurs tergiversations. Le débat du jour porte sur la ville que mon groupe d'éclaireurs a aperçue au nord de l'embouchure du fleuve sec que nous remontons. C'est à ce moment-là que Marika tourne enfin ses yeux de braise vers moi.
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Les Chasseurs de Mirages
Science FictionDu sable et des ruines. Derniers paysages à tenir tête à l'entropie. Les Rafales des Dunes pillent, tuent et saccagent sur leur chemin, mais errent toujours sans but. À moins que l'arrivée d'Os, cet étrange prophète, ne donne enfin un sens à leur qu...