59 - La cité des fantômes

23 2 0
                                    

Selmek

Questions connes, réponses connes. « En combien de temps la Terre effectue-t-elle une rotation autour du soleil ? » Parce que ce n'est pas le soleil qui tourne autour de la Terre ? Première nouvelle ! La nana à la vitalité d'une blatte morte et les deux scribouillards ont eu leur attitude la plus expressive à ce moment-là : ils ont soupiré de dépit.

Après quelques autres questions de cet acabit, ils ont décidé que je n'étais pas le genre à en avoir dans le ciboulot. Sans blague. Heureusement que des génies comme eux sont là pour le constater. Vous auriez demandé, ç'aurait été plus vite, mais bon...

Ils ont changé leur fusil d'épaule et m'ont fichu devant une pièce mécanique complexe. Chic ! Ça, j'aime mieux. Ça me rappelle les moments où je démonte ma carabine pièce par pièce pour la nettoyer. J'ai bidouillé leur truc en cinq minutes et ils ont affiché un air des plus satisfaits en concluant que j'aurais ma place à l'atelier.

Je n'ai aucune idée de ce dans quoi je me fourre, mais Tête d'Ampoule a parlé de jouer le jeu, alors je joue le jeu. Me tenant aux aguets pour intervenir au moindre signal.

Je me retrouve donc à suivre Arban, vers des quartiers moins pompeux. Le contremaître avec une sorte de combinaison tout orange me dévoile le coin de l'usine. Un immense tohu-bohu de tapis roulants sens dessus dessous. Joli.

— Les ouvriers de la section assemblage auront bien besoin d'une paire de bras en plus ! s'exclame joyeusement Arban. Mais avant tout, allons te trouver un uniforme.

Je le suis sans discuter dans les escaliers. Profil bas. Attendre le bon moment. Ne pas les laisser te laver le cerveau. J'essaye de me concentrer sur ce qu'il raconte de son usine, sur ce qu'ils y fabriquent. Je perds vite le fil. Petit cerveau, qu'elle a dit la madame.

Arban farfouille dans un placard à la recherche de l'uniforme qui épouserait mon gabarit. Je me laisse distraire par la vue. Le bureau est vitré pour qu'on puisse surveiller la chaîne d'assemblage comme un dieu veillant sur sa création. Ça, c'est pour la partie bâbord ; à tribord, la vigie donne sur l'extérieur. Un grand bâtiment bardé de marbre. C'est moche, trop lisse, ça manque de caractère. Mais je me suis peut-être trop habitué aux ruines. Je plisse les yeux. Ce bloc en pierre de taille me rappelle un truc... Ça y est, ça fait son chemin dans ma caboche : c'est le lieu où sont planquées les commandes de la barrière. Os nous l'a montré. Parfait. Je ne suis pas loin. Et je vois que Talinn ne perd pas de temps pour se lancer dans la mission.

— Mais que fait ce jeune homme ?

Je me pose la même question, Arban. Os a pourtant dit : « Jouez le jeu. » Alors, pourquoi cet imbécile descend-il la façade en rappel ? Il va nous trahir.

Et ça commence avec le contremaître. Le bougre se retourne vers moi et son visage se décompose. Il a pigé. Il essaye de s'enfuir. Je suis plus rapide.

— À l'ai...

Arban termine sa phrase dans un gargouillement dissonant alors que je l'étrangle à la force de mon coude. J'appuie de mon autre bras pour lui briser sa nuque. Ça vient pas. Il se débat ! Il glapit de plus en plus fort. Je prie pour qu'il n'ameute aucun public. Enfin, j'entends ce craquement salvateur et laisse retomber son corps. Une masse molle.

Toutes mes excuses, Arban. C'est pas contre toi.

Je dévale les marches pour retourner à l'extérieur. Si des ouvriers s'étonnent de me voir filer sans Arban, ils n'en disent rien. Trop dociles, trop lobotomisés pour se rebeller.

Devant le bâtiment des scientifiques, il n'y a plus que sa corde de fortune, un uniforme violet et torsadé, qui traîne au sol. Même pas foutu de faire un nœud correct. Amateur. Talinn s'est fait la malle, et heureusement pour lui parce que ça patrouille autour du bâtiment.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant