65 - Le Dôme

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Ataraxyl, Risperanone, Fentalanyl et Xanax... Ma collection de pilules s'étale comme un arc en ciel sur mon bureau. Je n'ai jamais été de nature particulièrement excitée ou turbulente, pourtant ces molécules réussissent l'exploit de me rendre encore plus stone.

« Camisole chimique... » Ces mots glanés de mon dernier espionnage me trottent dans la tête. Je la secoue pour les en chasser. Peu importe. J'ai besoin de ça pour survivre au réel de toute façon. Je les gobe toutes et les fais passer dans ma gorge avec un grand verre d'eau. Puis je sors de ma chambre.

Le manoir familial m'a toujours paru froid et hostile. Au contraire de l'habitat martien standard étudié pour être minimaliste et rentabiliser le moindre espace, la demeure de mon père étire ses murs dans une envergure conquérante grotesque. Des tableaux d'artistes terriens prémillénaires ornent les couloirs pour les rendre un peu moins vides et moins blancs. Ma famille avait l'habitude d'embaucher du personnel humain. Un luxe qui avait au moins l'avantage d'égayer l'atmosphère. Mon père les a tous renvoyés au profit d'AI et de robots lorsque mes « problèmes » ont commencé à se manifester.

Je m'attends donc à ne trouver personne en descendant dans la cuisine. Ce matin, Cristof est pourtant présent, triant les dernières informations sur son terminal d'une main et empoignant un café brûlant de l'autre. Ne sachant que dire, je me contente d'un :

— Bonjour.

Il lève les yeux de son terminal et ne fait même pas semblant de sourire — il sait que ça ne sert à rien avec moi.

— Ah Ethan ! C'est à cette heure-là que tu te lèves ?

— Je n'ai pas de cours avant cet après-midi, dis-je en haussant les épaules.

Je sais bien qu'un homme capable de donner un prix exact à son temps se moque d'une excuse pareille.

— Vauclair veut te voir le plus rapidement possible. Tu n'as pas vu son message ? questionne-t-il en se replongeant dans son travail.

La nouvelle n'est pas pour m'emballer. Ces deux dernières semaines, j'ai surtout vu son assistant qui s'est fait un malin plaisir de me confier n'importe quelle mission inutile. Pour m'occuper et pour m'évaluer, surtout. Le fait qu'il demande à me voir sans préavis m'intrigue. Une urgence ? Quand les Renseignements ont une tâche sur le feu, celle-ci s'accompagne généralement d'un charmant fumet fétide.

— Désolé, je ne me suis pas encore connecté à mon terminal.

Encore une excuse qui vaut aussi bien que du vent. Cristof lève les yeux au ciel.

— Tu dois bien être le seul jeune de la Fédération à ne pas avoir le nez perché dans son entoptique H24...

N'ayant ni l'envie ni le temps d'entretenir ce genre de débat avec mon père, je bois une gorgée de café et m'apprête à filer prendre un glisseur. Sa voix me retient devant la porte.

— Tu sais que je déteste ça autant que toi. Je préférerais que tu uses de ton temps libre à te former avec Ivana.

Et à ne pas faire le toutou pour les Renseignements. Ce n'est pas digne de l'héritier des Della Verde.

— Ivana a peur de moi.

J'ai lâché ça comme ça. Je n'aurais peut-être pas dû. Le regard de mon père, aussi sombre que le mien est clair, se noircit encore d'un cran.

— À elle de voir ce qu'elle choisit entre avoir peur et prendre la porte. Ce ne sont pas les remplaçants qui manquent.

Je pourrais pousser un soupir las, mais ce ne serait pas une bonne attitude à afficher. Cristof est la personne grâce à qui je sais si bien faire preuve d'inexpressivité. Songeant que nous avons fait le tour de ce que nous avons à nous dire, j'essaye à nouveau de partir. Hélas, nous nous croisons si peu souvent en tête à tête qu'il profite de l'occasion.

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant