23. Premier message divin

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Sara

Je dilue encore un peu la soupe, comme Elric le préconise. Il faut bien cela pour avoir de quoi nourrir les cent dix-huit personnes qui composent désormais notre convoi. C'est moins de vies qu'avant la bataille du fleuve asséché, mais encore beaucoup pour nos réserves amoindries. Nous avons campé quelques jours dans les ruines, emportant tout ce que nous pouvions des alentours, dépouillant ces contrées de toute faune et flore comestibles. La route se révèle longue et pénible, comme prévu. Les terres xériques que nous traversons depuis deux semaines tirent grise mine. Le carburant de nos ennemis brûle à travers ces marécages irradiés. Personne à l'horizon, il n'y a bien que notre folie collective pour entreprendre pareil périple. Mais au bout apparaît la Terre Promise, alors ça vaut bien de se serrer la ceinture.

Une main frôle mon dos. Je sursaute et fais face à la figure taquine de Wolf. Je rouspète à son égard, pour la forme, boudant pour la fausse peur qu'il m'a causée ; intérieurement ravie de sa visite. Sa main baladeuse remonte jusqu'à mes cheveux pour s'égarer dans les fleurs séchées que j'y ai nouées.

— C'est joli ça, complimente-t-il.

— Les enfants m'ont offert un bouquet de fleurs cueillies avant que l'on se mette en route. Mais, comme elles ont séché depuis, j'en ai fait une tiare.

— Je peux ?

Timidement, je détache le nœud de ma coiffe et la lui tends. Il la fait glisser délicatement entre ses doigts épais et la noue sur sa tignasse en bataille. Je libère un rire devant le tableau incongru de ce loup géant décoré de fleurs.

— Ça me va bien ?

— À merveille. Tu devrais la garder.

— Non, je préfère te la rendre. Tu es beaucoup trop jolie avec.

Je rougis d'une manière incontrôlable lorsqu'il repose le cerceau floral sur mes cheveux et s'efforce de le renouer maladroitement.

Wolf est l'un des rares parmi les Rafales à oser se mélanger à nous. Certes, nous n'avons pas non plus eu beaucoup d'occasions de nous regrouper, ces deux dernières semaines. Les pauses n'ont été que brèves, uniquement pour refaire le plein ou parer à des soucis techniques. Le convoi des Rafales avance en tête ; celui des Vautours traînait la patte derrière. Il fallait tracer et ne pas s'attarder. Message reçu. Mais ce matin, nous avons essuyé une féroce tempête qui a causé beaucoup de dommages au char principal. Lessivé par cet éprouvant trajet, tout le monde a accueilli avec joie l'idée de marquer un bivouac pour la soirée. Elric, Rémy et moi, nous sommes attelés à préparer un repas pour les deux clans, ce qui s'est avéré laborieux, une fois l'épuisement de nos réserves constaté.

Wolf profite de ce temps mort pour virevolter dans nos pattes. Je ne suis pas naïve, je vois bien qu'il me fait la cour depuis notre rencontre. Mais je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à ses avances. J'ai beau savoir que les hommes qui m'ont voulu du mal gisent désormais six pieds sous terre, je revois leurs visages sous les traits de Wolf.

Pourtant, il m'attire. Rien ne sert de me mentir. Est-ce la reconnaissance de m'avoir sauvé ? Je ne sais pas ; j'essaye de me raccrocher aux branches de Selmek, mais mon héros de toujours m'ignore, ou plutôt, ne fait pas attention à moi. Il n'a d'yeux que pour son nouveau meilleur ami, « le prophète ». Le croiser n'allume plus le feu entre mes reins, alors que Wolf...

— J'espère vous revoir au bûcher, belle dame.

Il s'éclipse en simulant une révérence. Je soupire lorsque le rideau de notre cahute-cuisine se referme. Wolf a toujours cette façon attendrissante de manier les mots hors contexte, juste avec leur image. Cela me renvoie à son côté rustre et barbare. Selmek est pareil, certes. Mais c'est différent tout de même ! Pourtant, rends-toi à l'évidence Sara, tu aimes ces incarnations de bestialité. Ah, je ne peux quand même pas me laisser ensorceler par l'un de ces monstres !

Les Chasseurs de MiragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant