Zilla
Je suis rincé. Le rythme est harassant. Conduire, non-stop, sans relâche, huit heures par jour, en se relayant à trois bonhommes. Dans ce paysage mort et sans fin, c'est loin d'être une balade de santé. Mes troupes sont à bout de nerfs et je crains l'implosion. Je la crains d'autant plus qu'Os ne nous aide pas à garder espoir.
Ses explications sont vagues et floues. Il semble troublé, comme s'il n'était même plus sûr que l'on emprunte la bonne direction. Franchement, le moment est mal choisi pour avoir les psycho-pouvoirs qui flanchent. Bonnie et moi, on donne le change. On insuffle du courage, on brandit nos discours réconfortants et brodés d'espoirs, quand, en creux, on commence nous-mêmes à douter.
Côté Delvin, il ne faut pas attendre grand-chose de la matrone en chef. Elle s'est réfugiée dans un sinistre mutisme. Bonnie me dit qu'elle a peur. Peur d'avoir eu raison, peur d'une énième déception, peur de découvrir que cette fameuse Terre Promise n'est bel et bien qu'un conte pour enfants.
La furieuse tempête qu'on a encaissée aujourd'hui nous offre un prétexte bienvenu pour souffler autour d'un bon feu réconfortant. Hélas, c'est aussi une occasion de catalyser les tensions cristallisées entre les deux groupes.
J'entends un cri près de l'âtre. Je reconnais le timbre de mon comparse de longue date, Fen. Ce n'est certainement pas dans ses habitudes de rugir de la sorte. Je cours vers le cercle et le découvre genoux à terre, flingue à la main, devant un Os figé. Un homme, un dénommé Hector avec lequel Talinn passe tout son temps, intervient et secoue le médium pour lui demander d'arrêter. Arrêter quoi ?
Je me stoppe, hagard, quelques secondes pour tâcher de comprendre la situation : Os s'enfuit entre les alignements de caravanes ; Hector s'enquiert de l'état de Fen ; Aristote se rapproche de Vaslow ; Vaslow lui donne son flingue et Aristote se faufile à la poursuite d'Os. J'ai un mauvais pressentiment.
À mon tour, je me glisse dans l'obscurité. Je retrouve vite la trace d'Aristote. Il a levé son arme en direction d'un Os qui ne bouge plus, et semble même attendre l'extrême onction.
Ni une ni deux, je ne réfléchis pas. Je fonce et exécute une clé de bras sur Ari. Le pauvre bonhomme est loin d'être un combattant chevronné, je n'ai aucun mal à le faire tomber et à m'emparer du pistolet.
Dire que je l'ai épargné après sa petite rébellion aux côtés de Grimm, par égard pour ses loyaux services – ce vieil aigri remplissait déjà le ventre des Rafales avant que je ne les rejoigne – et parce qu'il m'a juré allégeance. Mais le sursis prend fin en cas de nouvelle trahison, et je considère le fait de tenter de tirer dans le dos de notre guide comme tel.
— Tu regretteras de ne pas m'avoir laissé faire quand ce démon vous anéantira tous !
Il crache par terre ; je tire. La balle traverse directement son front. Je n'éprouve pas d'états d'âme devant son regard à jamais figé et ce sang qui glisse lentement derrière son crâne. Je n'en peux plus de l'entendre déblatérer les mêmes conneries superstitieuses. Je n'en peux plus de tous ces soi-disant nomades endurcis qui claquent des dents et muent leur trouille en haine dès qu'ils ont affaire à la différence.
— Tu aurais dû le laisser me tuer.
Je sursaute et fais volte-face. Os s'est rapproché de moi, regard rivé au sol et corps tremblant. Je ne l'ai jamais vu si désemparé.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ?
— Il a raison. Je suis un monstre, un danger pour vous. Il ne faut pas me laisser en vie.
Qu'est-ce que je suis censé répondre à ça ? Je suis scié. C'est à cause de ce qu'il s'est passé avec Fen ? Mais que s'est-il passé au juste ? Bordel, je suis complètement largué !
VOUS LISEZ
Les Chasseurs de Mirages
कल्पित विज्ञानDu sable et des ruines. Derniers paysages à tenir tête à l'entropie. Les Rafales des Dunes pillent, tuent et saccagent sur leur chemin, mais errent toujours sans but. À moins que l'arrivée d'Os, cet étrange prophète, ne donne enfin un sens à leur qu...